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MÉLUSINE : UNE FÉE DE FRANCE

gies austères et sereines des chevaliers et de leurs femmes…

Aucune fée ne me semble avoir incarné, autant que Mélusine, une pensée profonde. Sa supériorité et son originalité consistent en ce que sa légende s’est imprégnée du Christianisme. De toutes les fées dont nous avons étudié le type, elle est la seule qui nous donne l’impression d’avoir une vie intérieure. Entre la légendaire Mélusine, fille du roi d’Albanie, et cette authentique sœur d’un comte de Poitou, que des récits fantastiques auraient déguisée en fée, quels sont les traits de ressemblance ? Sans doute, la femme réelle dont l’histoire fut ainsi perpétuée posséda quelques dons rares, fut une personne supérieure. Devons-nous pousser les analogies jusqu’à supposer qu’elle eut à subir des tracas et des soupçons de la part de son mari ? La supériorité même des dons cause parfois plus d’étonnement que d’amour… Mais nous nous éloignons de la Mélusine du conte, qui fut, elle, très aimée, comme en témoignent ces paroles caressantes et désolées de Raimondin : « Ma douce amie, veuillez demeurer ou jamais je n’aurai joie au cœur. » Elle fut très aimée, et cependant trahie, et toutes les larmes, toute l’affliction de celui qui l’avait tant aimée et trahie, qui l’aimait tant et qui se repentait si douloureusement, ne purent réparer cet instant de défaillance… C’est pourquoi la légende, au pays de Poitou, veut que Mélusine, belle et triste, en vêtements de deuil, chante de sa voix mélodieuse une complainte poétique sur les malheurs futurs de sa race, et qu’elle pleure sur la plate-forme et sur les tours quand doit mourir quelqu’un de sa lignée. On dirait une fille des antiques sirènes, portant sans doute, au cœur,