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LES DERNIÈRES FÉES DU MOYEN AGE

malgré toutes les qualités, toutes les séductions, il sera malheureux dans ses premières amours. On l’appellera pour cela le nouveau Tristan. La troisième fée, qui est une douce et tendre petite fée, s’apitoie vainement sur le destin du pauvre enfant. La première s’entête, et l’aggrave encore, s’il se peut. Elle avoue être de mauvaise humeur… Ah ! si jolie que soit la scène des fées dans le poème de Brun de la Montagne, si un Shakespeare avait fait dialoguer les blanches inconnues, il nous eût inspiré sans doute d’autres méditations ! Le pauvre enfantelet ignore que toutes les forces de la vie se trouvent en suspens autour de lui. Mais la douce et compatissante fée qui l’aime, le saisit, l’embrasse en pleurant et passe à son doigt minuscule « un anel de fin or esmeré ». Butor, qui n’a pas le cœur si sensible, sera satisfait d’apprendre que la bravoure, la victoire, la beauté, seront le lot de son fils, il ne demande rien de plus. Mais la tendre petite fée est femme et pitoyable aux peines d’amour. La rigueur de ses compagnes l’attache plus que jamais, semble-t-il, à l’innocent.

Elle reparaîtra, se présentant comme la future nourrice de Brun de la Montagne, et elle l’élèvera, de même que Viviane a élevé Lancelot. Brun aime tendrement sa belle et sage amie. Elle s’éloigne de lui, lorsque vient l’âge des premières armes. Lui-même, il sait la menace qui plane sur sa jeunesse. Si beau, si brave, si fêté, il doit être « mendiant d’amour ». Et il s’inquiète de cet amour pour lequel il va souffrir. C’est la fée qu’il interroge :

« Mais je vous veil requerre pour Dieu et demander
Si je commencerai auques tost à amer. »
La dame répondit : « Biax fil, soyés certains
Aussi com de la mort que vous amerés ains