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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

cons où l’on soupire d’amour, et pourtant le Paganisme artificiellement ranimé prêche la joie de vivre, la joie de vivre qui doit sourire, élégante et féroce, sur toutes les ruines et tous les naufrages.

Deux conceptions de la vie aussi diamétralement opposées que celles du moyen âge et de la Renaissance doivent se traduire par deux formes d’art diamétralement opposées : art qui flatte, art qui élève ; art qui amuse, art qui inspire ; art qui bannit le chagrin, art qui hospitalise la douleur ; art du plaisir léger, art de la joie profonde ; art étroitement individuel, art magnifiquement social ; art d’égoïsme raffiné, art de fraternité sublime ; art de caprice, art d’amour.

Il suffit à un Dante de considérer son âme pour en faire jaillir une œuvre fulgurante, merveilleuse, éternelle. L’âme de l’Arioste et de Bojardo ne leur dit rien ; leur esprit ne s’émeut guère ; ils se promènent simplement dans les parterres fleuris de leur mémoire ; c’est ainsi que les tapisseries nous montrent des Dianes vêtues en princesses de la Renaissance, et des Pénélopes rêveuses sur les terrasses des villas italiennes et des châteaux de la Loire. L’Alcine de l’Arioste, comme la Dragontine de Bojardo, comme l’Armide du Tasse, est à la fois Calypso et Circé ; l’hippogriffe est Pégase ; Angelica, Andromède. Il n’y eut jamais tant de plagiats que dans le Roland amoureux ou furieux, mais de plagiats accommodés par un art rajeuni au goût d’une époque, revêtant une nouvelle forme de vie, et devenant alors des créations nouvelles, de sorte que l’Angélique du Roland furieux n’imite pas plus Andromède que la Diane de Jean Goujon ne copie l’antique Artémis.