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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

ronger un de ces myrtes, quand de l’arbuste sort une voix humaine en laquelle Roger reconnaît celle du paladin Astolphe, un des preux de Charlemagne. Le jardin appartient à la fée Alcine, véritable fée de la volupté, qui lutte toujours contre sa sœur Logistilla, protectrice de la raison et de la vertu. Fidèle à son art des tableaux heureux et des contes variés, le poète sait nous redire dans son propre langage l’histoire de l’antique magicienne. Le myrte est renouvelé de l’Enfer dantesque où certains damnés, transformés en arbustes, parlent, souffrent et saignent. L’aventure d’Astolphe est renouvelée de l’Odyssée, c’est l’aventure des compagnons d’Ulysse métamorphosés en pourceaux par la cruelle et séduisante magicienne Circé. Alcine est Circé, je vous l’avais bien dit. Une fois qu’elle était occupée à attirer des poissons par son chant, elle aperçut Astolphe qui lui plut, et décida de lui octroyer ses dangereuses faveurs. Astolphe se laissa enchanter par l’enchanteresse. Mais, alors qu’il s’éprenait de plus en plus, Alcine se lassait de cet amour ; de peur que ses anciens amants ne se permissent de la diffamer par le monde, elle avait coutume de les changer en arbres et en plantes, pour son jardin. Le pauvre Astolphe ne put échapper à la destinée commune. Arioste amollit ainsi Homère et Dante, mais, sans doute, les belles dames ne s’en plaignaient pas ; l’aventure des compagnons d’Ulysse était bien grossière, et le chant de l’enfer dantesque était bien tragique : on aimait mieux rêver un beau jardin d’oliviers et de myrtes, plein de soupirs de détresse et d’amour.

Roger n’est pas encore prémuni contre les séductions d’Alcine ; ne croyez pas qu’il y échappera. La fée a de puissantes ressources. Il a beau connaître