Page:Félix-Faure-Goyau - La vie et la mort des fées, 1910.djvu/208

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
196
LA VIE ET LA MORT DES FÉES

brillant matin de ce jour qui perdra bientôt sa sérénité ; cueillons la rose d’amour, lorsque nous pourrons être aimés en réponse à notre amour. »

Si lointain que le Tasse veuille la faire apparaître, c’est toujours un jardin d’Italie que l’aspect de cette île évoque devant notre rêve, et le beau palais rond d’Armide pourrait être dû à quelque fantaisie d’un architecte ferrarais, émule ou successeur de ce Biagio Rossetti auquel on doit le Palais des Diamants.

Renaud est amoureux de la magicienne Armide, comme Roger le fut de la fée Alcine. Mais quand Armide s’éloigne, les deux envoyés des croisés se montrent, qui viennent, au nom du devoir belliqueux, réclamer Renaud dans sa voluptueuse retraite. La vue des armes suffit à l’éveiller de son funeste rêve, à le rendre à lui-même, et il part. De loin, Armide lui adresse des reproches entremêlés de sanglots et d’adieux. Elle ne se soucie plus d’être fée ou magicienne, elle ne veut être que femme, femme aimée, et il ne lui convient d’employer que les armes d’une simple femme. À quoi bon vaincre par la magie, si sa beauté est impuissante ? Voilà le moment précis où elle oublie tout son héritage féerique, où elle n’est plus que la sœur aînée des Ériphile et des Hermione, la grande passionnée, l’ardente amoureuse que le Tasse peignit magnifiquement, à côté de la chaste, hautaine et délicieuse figure de Clorinde. Il use de cette langue où semble avoir passé le je ne sais quoi de plaintif et de suave, dont s’imprègne la voix de la guerrière mourante, aimée de Tancrède, et qui s’insinue au cœur : « Un non so che di flebile e soave ch’al cor gli serpe. » Jusque dans le déchaînement de sa douleur furieuse