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SPENSER ET LA REINE DES FÉES

Peuples, vous forlignez aux armes, nonchalents
De vos aïeux Renauds, Lancelots et Rolands,
Qui prenaient d’un grand cœur pour les dames querelle…

Et revenons à Spenser qui ne fut pas Homère, ni Eschyle, ni Dante, ni le Tasse, ni Shakespeare, mais qui fut un poète, un grand poète, avec des notes délicieuses, tout en étant le moins chevaleresque des poètes.


I


Spenser, pour suivre une mode intellectuelle, adopte cependant le genre de la poésie dite « chevaleresque ». Il n’ignore aucun des chefs-d’œuvre dus à ce genre. Il a lu tous les récits des jardins féeriques, et, si les spectacles familiers à ses yeux, reflétés dans son livre, évoquent parfois une délicieuse fraîcheur de jardin anglais, d’autres passages y font revivre les jardins d’Italie, comme la description de cette porte enguirlandée de vigne aux feuillages d’or et de pourpre, aux grappes lourdes et transparentes, aux festons d’une grâce riche et souple, par où l’on pénètre chez la molle et dangereuse Acrasia. Il exécutera des variations sur le même thème, mais, cette fois, dans le mode mineur, en nous dépeignant le triste jardin de Proserpine, ombragé de cyprès, fleuri de pavots, de ciguë et d’ellébore.

Les fontaines ornées de bas-reliefs, les coupes de breuvage enchanté, tendues aux chevaliers par des magiciennes perfides, Spenser utilise à sa façon, et non sans charme, tous ces motifs traditionnels de la féerie créés par la Renaissance. Sa Duessa, son