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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

beauté les camps ennemis, et nos vieilles Chansons de geste possédaient un assez riche fonds d’héroïsme pour en doter Chrétiens et Sarrasins. Homère, en décrivant la rencontre d’Achille et de Priam, entrevit des sommets d’éternelle émotion que, de près ou de loin, Spenser ne devinera jamais.

Pourquoi médite-t-on si rarement sur les fibres de beauté qui demeurent au cœur des vaincus ? Pourquoi ne s’avise-t-on pas qu’ils sont peut-être susceptibles de découvrir plus de secrets profonds dans le baiser qu’ils donnent à la poussière, que n’en apercevront les victorieux portés sur les épaules de flatteurs enivrés ? Eschyle, qui respecte les Perses en glorifiant Athènes, a créé le personnage d’une Cassandre. Ce n’est point sous l’influence d’Apollon, mais parce qu’elle a souffert intensément, que la princesse troyenne voit ce que ne voit pas le triomphateur : les horizons tragiques de la gloire.

Au siècle de Spenser, Shakespeare n’a pas craint de déplaire à la fille d’Anne Boleyn en donnant les traits du sublime à Catherine d’Aragon. Il nous montre les esprits de la paix surnaturelle venant visiter la douleur et peupler la solitude du délaissement.

Spenser, lui, a poursuivi de ses injures la pauvre Marie Stuart. Suprême outrage infligé par la poésie à la petite reine dont le sourire faisait jadis éclore les rimes françaises, à la belle et radieuse protectrice de Ronsard ! Le fils de Marie, si lent à s’émouvoir, s’émut pourtant cette fois… Il se plaignit. Rappelons, à l’honneur des poètes, que, du vivant de Marie, Ronsard avait élevé la voix en faveur de la captive :