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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

liations. Quand elles sont humiliées, elles deviennent sombres et farouches. Les plus profondes d’entre elles semblent avoir une peine immense, peut-être celle de ne pouvoir mourir : car l’opinion la plus répandue est qu’elles ne doivent mourir qu’au jour du jugement. Avec quelle ferveur nous voyons Mélusine, et, plus tard, la fée-serpent du Vénitien Gozzi, aspirer à devenir mortelles ! On dirait qu’elles ont soif d’une immortalité qui ne serait point leur immortalité féerique, comme si quelque chose manquait encore aux printemps durables de leurs îles Fortunées.

L’inspiration leur prête une patrie, lointaine, inaccessible et radieuse… Des îles Fortunées, une île d’Avalon, et, sur le domaine des hommes, des forêts, des bosquets, des fontaines, qui seraient leur propriété. Cette île d’Avalon, ce pays de féerie, qui a hanté tout le moyen âge, se rattache-t-il, comme on l’a songé, soit au mythe égyptien des îles Fortunées, soit à l’Élysée druidique ? Serait-ce l’Atlantide de Platon, reflétée dans les brumes des imaginations septentrionales ? Il suffit, pour la rêver, de voir l’île d’or du soleil couchant se bomber, le soir, à la surface des eaux, alors que son dernier reflet jette un royal pont d’or jusqu’au rivage. Et c’est à elle encore qu’appartiennent tous les palais d’or du couchant, tous les jardins célestes du soir aux fontaines de roses et aux brasiers de rubis.

Qu’est-ce en somme que l’île d’Avalon ? Beaucoup la portent dans leur âme. C’est un rêve qui repose de la réalité. C’est la fenêtre éclairée, dans la nuit, pour le voyageur épuisé qui marche à travers la brume humide et glacée du soir d’automne. C’est l’îlot que l’âme se crée et qu’elle ne laisse hanter que par de beaux songes, de belles idées ou ce qui lui semble