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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

de folles et imprévoyantes alouettes, la douleur entrera au royaume de féerie. Ces pauvres fées au cœur léger sont toujours amoureuses ou disposées à l’être. Si habiles qu’elles soient, elles n’hésitent pas à confier leur cœur fragile aux inconstants que sont les fils des hommes. Et, pour quelques douces paroles, elles seront dupes à leur tour. Viviane doit supporter les amours de Lancelot du Lac et de la reine Genièvre ; Morgane, si puissante et si glorieuse, est trahie dans son amour, et sur le point d’en mourir. Oriande apparaît comme une image de Viviane. Mélusine se voit, un court instant, méconnue par son mari, et cet instant pèsera sur sa vie séculaire. Leur science ne leur a pas appris à souffrir. Mais elles ne semblent pas incapables de tout bon mouvement : empressées à se rendre à quelque festin royal, elles ne dédaignent peut-être pas de se reposer sous le toit d’une chaumière où elles laisseront quelque généreux souvenir de leur passage.

Ah ! pauvres et légères petites créatures, quel talisman, quelle baguette magique égaleront le pouvoir d’une âme humaine, toute simple, avec ses possibilités de joie et de souffrance, mûrie dans le silence et dans les larmes ! Vous parlez à ravir, vous chantez délicieusement, vous tirez d’incomparables sons de vos harpes d’argent ; mais cette part de la vie qui ne s’extériorise ni en chansons, ni en métamorphoses, et qui constitue cependant le meilleur de nous-mêmes, notre souveraine dignité, rien ne nous donne à penser que vous l’ayez jamais vécue ; c’est pourquoi vous êtes inférieures aux plus tristes des femmes, aux ménagères qui peinent, aux bûcheronnes qui s’épuisent, à tout ce pauvre monde que vous coudoyez, jolies fées qui nous apparaissez en