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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

pas fait ce dernier pas de déclinaison. Une femme offrait un appartement à un savant, à un ami : on n’en glosait point. La science, l’amitié, paraissaient des prétextes ou, plutôt, des titres plausibles. Les Mercures se remplissaient de questions sur les manières d’aimer ; d’un autre côté on traçait des caractères, ici des maximes. Comme on connaissait ceux avec qui l’on vivait et qu’on vivait longtemps, on connaissait le cœur humain. Les hommes ne s’éloignaient point des femmes : un duc de Saint-Aignan, un duc de La Rochefoucauld avaient donné de trop bons exemples. Les visites de l’amitié ou de l’esprit étaient aussi réglées que les pendules. On voulait s’amuser, on se donnait un canevas, et le petit conte était fait. On se peignait l’un et l’autre, et l’on riait ensuite… L’esprit français amis tant d’amabilité, tant de légèreté dans ce travail, qu’on doit convenir que la féerie est une des plus délicates et des plus ingénieuses branches de notre littérature.


Voilà comment, environ à quatre-vingt-dix ans de distance, le dix-huitième siècle jugeait ce délassement du grave et fin dix-septième siècle.

Ces petites sociétés, d’ailleurs, survécurent au grand siècle. Elles se formaient de préférence autour d’une femme âgée, ou, du moins, à l’automne de l’âge, et qui savait user avec un sourire du privilège conféré par les premiers cheveux blancs. Il ne messied nullement d’être une jolie aïeule dont le fin profil s’adoucit à l’ombre de dentelles parfumées. L’heure des visites est régulière comme celle des horloges et la place des gens comme celle des meubles. Ceux qui viennent sont les amis des jours de pluie ou de soleil, et, quand leur pensée est distraite, leurs pieds accomplissent tout seuls le trajet accoutumé, vieux de tant d’années ! Aux longs crépuscules de la saison douce, ils voient les mômes reflets de soleil mourir aux mômes angles et dans les mêmes cuivres ; quand les jours sombres de l’hiver meurent dans la