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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

sance. Il est vrai qu’elle n’inspire aucune pitié. Arlequin ajoute la raillerie à sa victoire ; il n’est pas né pour rien dans le siècle du rire méchant.

Quelle est cette fée que nous ne pouvons imaginer que poudrée, fardée, parfumée, agrémentée de mouches coquettes ? Elle ignore l’ombre mystérieuse et redoutable des forêts celtiques où s’enfonçait la Morgane de la Table Ronde, et les bords humides du lac où se cachait Viviane. Ses petits pieds chaussés de satin ne marchent que dans les allées soignées d’un parc, ou plutôt, même, sur les tapis d’un salon au seuil duquel l’attendent laquais et chaise à porteurs. Le nom de Merlin frappe ici comme un anachronisme. Il est bon que l’enchanteur n’y paraisse point. C’est en vain que l’on cherche les forêts augustes et les mers brumeuses où se perd l’île d’Avalon. La scène de la féerie médiévale qui allait des monts neigeux aux océans infinis s’est rapetissée au point de tenir entre deux paravents, ou même sur une console, dans une vitrine : petit monde de biscuit, de pâte tendre et rosée, sans cervelle et sans cœur, et que le premier choc d’un cataclysme va briser.

Petite fée de Marivaux, poudrée, fardée, mouchetée, je vous la dirais bien, moi, la morale de votre histoire si peu morale ! Vous êtes encore jolie, ma chère, et Merlin qui vous a connue dans votre éclat n’a point vu la fêlure discrète qui met en péril votre beauté. Mais les larmes de dépit précipitent votre ruine, et la baguette que, malgré vous, vous cédez à la bergère Silvie, c’est le sceptre de la jeunesse. Allez, vous aurez beau faire : la jeunesse commande à l’amour tel que vous le comprenez. Ah ! petite fée, si vous étiez un peu sage, vous trouveriez la force d’essuyer vos yeux et de sourire à l’heureuse Silvie.