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CARLO GOZZI ET LA FÉERIE VÉNITIENNE

d’automne semblent se pencher sur leur éternel reflet, et en subir l’attirance, Venise paraît mal se prêter à de bourgeoises aventures. Il lui faut quelque chose d’étrange, de capricieux, de tragique et de magnifique, d’un peu en dehors de l’humanité, dirait-on aussi, car son sol est mouvant et ne laisse pas reposer sur lui les pas inquiets des hommes ; ses rues sont étroites, closes, mi-obscures, comme des couloirs ; elles ont ce je ne sais quoi de fermé et d’intime, qui semble l’apanage des choses d’intérieur, et cependant une série de coudes et de recoins favorables à l’inattendu, peut-être au guet-apens, de sorte qu’il est impossible, en quelque sorte, d’y respirer la sécurité. Ses demeures semblent faites pour servir à d’autres usages que ceux de la vie quotidienne. Elles sont ouvragées comme des fleurs et transparentes comme des dentelles. Elles paraissent n’avoir d’autre but que de s’associer à des fêtes, ou de regarder passer des cortèges ; mais que l’on s’y abrite, que l’on s’y chauffe, que l’on s’y réfugie, personne ne le croirait. Ses jardins sortent de l’eau, comme les îles de délices, chantées par les poètes, quand ils imaginent des féeries. Les fées sont partout dans cette Venise qui défie les plus vieilles habitudes des hommes. Aussi, quand la mode prétendait les mettre en fuite, un de ses enfants, Carlo Gozzi, les retint doucement par leur voile brodé de perles, et leur garda le vieux théâtre de la cité.