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CARLO GOZZI ET LA FÉERIE VÉNITIENNE

glisser d’austères leçons sous le vieux mythe féerique de la pomme qui chante, de l’eau qui danse, de l’oiseau qui parle, et sous d’innombrables histoires de métamorphoses, prince changé en oiseau, femme changée en statue, philosophe également devenu statue.

Voyez, par exemple, l’Augellino Belverde. Gozzi nous y montre le frère et la sœur déclarant à la brave femme qui les éleva par pure tendresse et bonté de cœur, qu’ils ne lui doivent aucune reconnaissance, puisque chacun agit selon le plaisir où l’intérêt qu’il croit trouver dans ses actes ; et voilà qui nous fait mesurer bien mieux que de savantes dissertations la portée d’un certain utilitarisme. C’est ainsi qu’au milieu des jeux étourdissants de la féerie, dans ce jardin merveilleux et plein de surprises qu’à travers les siècles se plaît à faire miroiter la folle imagination des hommes, la fidèle petite lampe du sens commun allume sa flamme persistante. Mais ce sens commun ne put résister à tant de folies ! La raison du pauvre Gozzi n’y tint pas. Un soir de représentation, il s’imagina que, dans l’escalier des coulisses, une voix murmurait à son oreille : « On ne s’attaque pas impunément au roi de l’air ! » Ce roi de l’air était un des personnages de la féerie que l’on se disposait à jouer. Et le poète sentit une irrésistible terreur s’infiltrer jusqu’au fond de lui-même. Pauvre Gozzi, si brave en face du Dalmate colossal, armé et masqué, qu’il fit évanouir comme un spectre de l’air ! Si craintif devant un être irréel évoqué par sa seule imagination ! N’est-ce point le cas de ceux à qui le rêve est plus vivant que la vie ? L’actrice Ricci détourna Gozzi de ce genre Fiabesque auquel il devait tant de succès. Il travailla pour elle et contre son génie propre en