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Page:Félix-Faure-Goyau - La vie et la mort des fées, 1910.djvu/33

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PROLOGUE

sans fracas, semblable aux eaux des sources secrètes, mais que l’on entend bruire tout bas, dans le silence des siècles et de l’histoire. Vous filiez activement de vos mains sèches et fanées, comme les feuilles des bois à l’automne. Mais dans la pénombre des mousselines qui vous auréolaient de blanches coiffes, vos yeux étaient plus transparents que de claires fontaines. Vous parliez aux longues veillées d’hiver, assise à côté de l’âtre qui vous éclairait de ses tisons, ou par les crépuscules prolongés de la saison douce, appuyée à la margelle du puits, quand les femmes venaient y chercher de l’eau pour les usages du soir. Combien le vent a-t-il emporté de vos paroles profondes ! Ceux à qui vous les adressiez étaient de rudes travailleurs ou de lasses travailleuses, et vos beaux contes mettaient une trêve dans les obscurs labeurs de leur vie quotidienne. Les princesses y étaient toujours charmantes et les princes toujours amoureux. Il n’y était question que d’amours fidèles. Et vous ouvriez à ces pauvres tout l’étincelant trésor des féeries ; pendant que votre voix résonnait, ils possédaient autant de perles et de diamants que l’on en put trouver au royaume de Golconde. Vous étiez de celles dont parle Montaigne, « de ceux et de celles qui ne s’alitent que pour mourir ». Et vous saviez si elle ressemblait à vos contes, la dure vie quotidienne qui ployait votre taille sous le fardeau de bois mort ; mais c’est au fond de votre mémoire, comme d’un doux miroir terni, que Perrault a retrouvé, pour son Petit Chaperon Rouge, la chère image d’un village de France avec sa route blanche sur laquelle les noisetiers jettent la guipure de leur ombre légère, ses moulins, ses bûcherons, et la chaumière de la mère-grand, la chaumière sœur de la vôtre !