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LA FÉERIE POÉTIQUE EN ANGLETERRE

conquiert le cœur du poète. Elle l’emmène dans sa grotte fleurie et moussue qui est une grotte féerique. Le poète y rêve une apparition de chevaliers et de guerriers pâles comme la mort, — puis il s’éveille seul sur les bords d’un lac glacé, où nul oiseau ne chante, et toujours il attend le retour du soleil, des fleurs, et de la Belle Dame sans merci.

Rien ne ressemble moins au poème d’Alain Chartier que la ballade de Keats.

Le dialogue de la Belle Dame sans merci et de son soupirant n’est, chez le poète du moyen âge, qu’un débat où chacun argumente pour une cause. Mais, dans la ballade du siècle passé, nous respirons la même atmosphère de féerie que dans Merlin et Viviane, de Tennyson.

Le lac de la Dame sans merci ne serait-il pas encore le lac de Viviane, à moins qu’il appartienne au Val Sans-Retour fondé par Morgane ?

L’Alcine de l’Arioste, la Dragontine ou la Falérine de Bojardo reconnaîtraient une jeune sœur en cette héroïne plus mystérieuse qu’elles toutes, et qui séduit le cœur des poètes, en murmurant, avec un sourire, une chanson de fée.

Ainsi le poète du dix-neuvième siècle, effleurant à peine quelques notes, éveille les échos des concerts de jadis, et l’on croirait entendre « le chant du cygne » de la féerie mourante ; selon le beau vers de Mary Robinson, nous ne savons si c’est un air réel ou seulement un rêve égaré.