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LA FÉERIE POÉTIQUE EN ANGLETERRE

une souffrance d’ambition au fond de votre âme. Ah ! comme il vous a devinée, dangereuse petite fée, qui avez eu des sœurs dans la légende et dans la mythologie ! Aux pieds de l’enchanteur Merlin, Viviane, dans sa robe vert tendre, suppliait, prosternée. Elle avait soif de savoir et de pouvoir. Merlin frémissait devant sa jeune beauté. Elle était douce, tendre, amère, passionnée, plaintive. Elle séduisait Merlin, et elle l’irritait ; elle l’apitoyait et elle l’indignait ; toute la science du barde ne pouvait rien contre le charme d’amour quand elle parlait selon la haine et l’envie qui dévoraient son âme, Viviane se plaisait à diffamer les grands chevaliers de la Table-Ronde. Elle détestait cette cour d’Arthur où régnait une autre femme. Les sentiments de Viviane pour la reine Genièvre étaient ceux que pouvait nourrir, à Versailles, Marie-Jeanne Phlipon, future Mme Roland, lorsque, reçue par un ami de sa famille, qui habitait un coin perdu dans les combles du palais, elle songeait à l’éblouissante Marie-Antoinette. Mais la fraîche Marie-Jeanne se drapait dans je ne sais quel lambeau de vertu romaine, tandis que Viviane, pâle, subtile, délicate, ne cherchait qu’à atteindre son but. Et Merlin savait qu’elle l’atteindrait son but, et, lucide, il ne croyait pas en elle. Tennyson, dans ce joli poème de Merlin et Viviane, nous donne, comme une rumeur provoquée par la jalousie, le bruit qui faisait de l’enchanteur Merlin, un fils du diable.

Et Merlin regardait Viviane, souple et féline comme une vague de cette mer où naquit Vénus. Une grande mélancolie envahissait son vieux cœur de poète et de savant. Sous le poids de cette mélancolie, il sentait défaillir son courage. Et Viviane