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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

sur vous de ses humiliations précédentes. Votre science et votre pouvoir ne sont plus que les trophées qui consacrent la profondeur de votre défaite. À peine avez-vous parlé que Viviane se sert du charme pour vous emprisonner au cœur d’un chêne foudroyé, et vous tenir à tout jamais sous sa domination… Merlin n’est plus que l’esclave de Viviane. Elle eut raison de choisir comme emblème le beau collier de perles qui se brise et se disperse… Défaire ! Détruire ! C’est encore la devise d’Hedda Gabier, autre servante du néant, qui brûle le manuscrit d’une œuvre de génie pour mourir en beauté. Défaire ! Détruire ! Toutes les doctrines, toutes les philosophies qui tendent à ce but sont condamnées à montrer un jour leur laideur. Hedda Gabier a volé le mot d’Antigone : mourir en beauté. Mais elle n’a pu voler que le mot : et nous aurons à démasquer les vilaines choses que recouvrent parfois des mots magnifiques.

La vraie beauté n’est pas à Viviane : elle demeure avec Béatrice. Celui qui ne créerait qu’un grain de sable serait infiniment supérieur à celui qui détruirait le monde. Mais Viviane qui ne sera point heureuse, et qui triomphe pourtant d’avoir emprisonné Merlin au cœur du chêne, Viviane joignant l’insulte à la cruauté, Viviane, exultant de mépriser Merlin et de se mépriser elle-même, s’écriera, dans un éclat de rire : « J’ai fait de sa gloire ma gloire !… »

Et le rire de Viviane, sans aucune note de joie, se répercutera parmi les échos de la grande forêt, au crépuscule de la féerie.