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LA FÉERIE DANS UN CERVEAU DU NORD : ANDERSEN

l’Orient dans ceux des Mille et Une Nuits. Voyez les ciels pâles et les sombres lacs effleurés du vol des cygnes ; la silhouette éplorée des saules ; le passage des cigognes aventureuses, la splendeur des aurores boréales, la neige éblouissante, les diamants du givre ; les vieux manoirs de briques rouges, les petites villes propres et paisibles ; les chambres closes où la vie de l’homme, ne pouvant s’épancher au dehors par des jours trop incléments, se concentre jusqu’à verser, par le rêve, de son trop-plein sur les meubles, sur les bibelots, qui forment son cadre éternel et restreint. Voyez cette description : « Le pays autour de la petite ville de Kjoegé en Seeland est très nu. Elle est au bord de la mer ; la mer est toujours une belle chose, mais le rivage de Kjoegé pourrait être plus beau qu’il n’est. Partout vous ne voyez autour de la ville qu’une plaine tout unie, rien que des champs, pas d’arbres, et la route est longue jusqu’au bois le plus prochain. Cependant, quand on est né dans un pays et qu’on y est bien attaché, on y découvre toujours quelque chose de ravissant et que plus tard on désire revoir, même lorsqu’on habite les plus délicieuses contrées. » Rien de plus humain. Cette plaine infinie, ce paysage nu, cette mer grise, seront peut-être aimés plus profondément que les sites de soleil, d’azur et de roses qui de leur premier sourire enivrent les voyageurs. On les aimera pour leur disgrâce et leur mélancolie : quand ils sont aimés, les vaincus de l’existence le sont parfois plus que les victorieux. Leurs amis doivent être rares, et fidèles : ceux des autres sont innombrables et inconstants. Même après la mort, aucune gloire, si bruyante soit-elle, ne vaut un souvenir ému, silencieusement gardé par deux ou trois cœurs profonds.