Page:Félix-Faure-Goyau - La vie et la mort des fées, 1910.djvu/402

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
340
LA VIE ET LA MORT DES FÉES

plus vraie que la réalité même. Après avoir subi toutes les tortures et tous les outrages, le bon petit schelling se retrouve dans son propre pays où sa valeur est reconnue, et il poursuit son honnête carrière. « Cela prouve, déclare le schelling, qu’avec la patience et le temps, on finit toujours par être apprécié à sa juste valeur. » Je le voudrais bien, mais… Je ne suis pas sûre qu’il en soit toujours ainsi dans le monde où nous vivons actuellement. Et Andersen, non plus, n’en est pas trop sûr. Il y a, pour nous édifier sur ce point, le gentil conte : Chacun et chaque chose à sa place. C’est une flûte qui doit remettre chacun et chaque chose à sa place ; les gens du salon à la basse-cour et ceux de la basse-cour au salon ; les piétons à la place de ceux qui se prélassaient en voiture, et ceux qui se prélassaient en voiture, à pied, dans la boue, comme de simples piétons… Les beaux cavaliers et les brillants causeurs qui cherchaient à se gausser des braves gens se trouvent emportés au milieu des oies. Ah ! la brave petite flûte ! Elle ne ménage personne. Qu’on juge de l’effet, au milieu d’un concert qui devait se passer normalement, à la grande satisfaction des exécutants et aux bâillements étouffés des auditeurs. « On entendait, explique Andersen, des amateurs chanter des morceaux qui plaisent surtout à ceux qui les exécutent. » La perturbation fut telle que l’excellent garçon qui s’était avisé de jouer une fois de cette flûte se garda bien de recommencer. Andersen n’est pas un révolutionnaire : il lui est à peu près égal de supporter ce dont il n’est pas dupe. À quelques hommes le plaisir secret de n’être pas dupes tient lieu de beaucoup de choses, et ils n’ont cure de troubler la comédie. Les délices de la pensée leur donnent toutes les com-