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LES FÉES DU CYCLE BRETON

de romans et de poésie. Ainsi se rassurait et s’égarait la morale mondaine d’alors. Chrétien de Troyes, auteur de Tristan, d’Erec, de Cligès, de la Charrette, du Chevalier au Lion, de Perceval, était le romancier favori de ces belles dames, celui qui, sous leur inspiration, mettait leur idéal dans la littérature. Il élaborait des phrases capables de les charmer, et que les conteurs imitèrent à l’envi.

Paroles dangereuses qui, dans l’oisiveté monotone des châteaux féodaux, contribuèrent à perdre la tête des pauvres châtelaines ; paroles que, dans l’ombre gothique d’une salle de Rimini, Paolo et Francesca liront peut-être ensemble, comme Dante l’imaginera :

Nous lisions un jour par plaisir comment l’amour étreignit Lancelot ; nous étions seuls et sans aucune peur d’être surpris. Plusieurs fois nous levâmes les yeux du livre, et notre visage pâlissait. Mais un seul point nous vainquit : lorsque nous lûmes comment cet amant baisa le sourire désiré, celui qui de moi ne sera jamais séparé, tout tremblant, me baisa la bouche. Ce livre et son auteur furent pour nous Galehaut… Ce soir-là nous ne lûmes pas plus avant.

La morale de Viviane, faite pour charmer les cours d’amour et pour troubler la cervelle des châtelaines, ne fut pas admise par le chantre de Francesca. Il est vrai que l’incomparable Divine Comédie puise au fond des consciences des éléments de beauté plus haute et plus affinée. La Table-Ronde est le miroir changeant et superficiel d’une époque ; la Divine Comédie est le miroir inaltérable et profond d’un siècle, envisagé des sommets éternels.

Quant à Viviane, sa vogue étendit son empire en beaucoup d’œuvres, beaucoup de régions et beaucoup de langues diverses ; elle lui donna même des sœurs, telle cette Urgande la Déconnue, protectrice