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LES FÉES DU CYCLE BRETON

la forêt de Brocéliande, épaisse, sonore, inextricable comme une forêt de la vieille Gaule, mais semée de clairières fleuries et de fontaines chantantes pour la danse des fées au clair de lune. Comme toutes ses sœurs, Morgane aime les fontaines aux bords riants et les clairières veloutées.

Mais les charmes de Brocéliande ne consolent pas Morgane d’avoir été trahie ; elle possède des baumes pour toutes les blessures, excepté pour celles de son propre cœur. Alors elle se fait justicière, et rien n’est plus dangereux ni plus cruel que la justice devenant le prétexte sous lequel se cache une passion. Aussi, de tous ses domaines, celui qu’elle préfère est-il le Val Sans-Retour. Suivant la tradition féerique, c’est dans la forêt de Brocéliande qu’il faut chercher ce val, illustré par la vengeance de Morgane. Les deux Bretagnes se le disputent encore, et deux écoles d’érudits ont soutenu la prétention des deux Bretagnes. On croit le reconnaître dans la forêt de Paimpont, près du village de Tréhentoreuc. Un chemin marécageux à peine accessible y conduit. Par les soirs d’automne, il doit encore se cacher derrière les murs de brouillard dont parle la légende. Aucun site ne peut être plus sauvage, plus désert, plus silencieux. Il s’encaisse entre d’abruptes collines dont la robe nuancée de vert et de violet par les bruyères est trouée çà et là d’énormes et sombres rochers. Une légère nappe d’eau y reflète un peu de ciel. On dirait qu’il plane toujours sur ce vallon comme une sorte d’enchantement. La pensée qui vient à l’esprit des voyageurs, c’est que l’aspect des choses a pu créer ici la légende. Si l’on rêva parfois un Val Périlleux, un Val des Faux-amants, un Val Sans-Retour, — la fondation de Morgane portait ces trois