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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

néité, que personne ne peut avoir un léger soupçon, et qu’Arthur, tout le premier, comprend son terrible émoi.

Ainsi Morgane est vaincue par la reine. Elle s’acharne vainement à la perdre en voulant ouvrir les yeux d’Arthur : une fois, elle imagine un manteau qui ne s’ajuste qu’à la taille d’une femme fidèle ; une autre fois, elle offre à son frère un hanap d’ivoire, dont le contenu se renverse, si ce hanap est entre les mains de quelque mari trompé. C’est une personne de ressources que la fée Morgane.

Au commencement du treizième siècle, à l’époque de Robert de Boron, les sympathies sont pour Viviane et les antipathies pour Morgane. Cela tient peut-être à ce que Viviane est favorable aux compagnons de la Table-Ronde, et que Morgane leur est défavorable. Peut-être cette préférence est-elle un nouveau signe de la partialité médiévale pour Lancelot et Genièvre ; Morgane ne cherche qu’à leur nuire, et Viviane à les secourir. Les détracteurs de Morgane se plairont à nous dire qu’elle a perdu sa beauté ; ils l’appelleront la laide Morgane.

Que Viviane eût ou non Meliador pour amant, ses mœurs, du moins, n’étaient pas dissolues comme celles de sa rivale. Elle était plus ambitieuse que sensuelle. Tout le cadre de Brocéliande, son décor de lacs et de fontaines, d’ombrages transparents, d’aubépines en fleur, de manoir invisible, de danses et de chasses, de cortège à chapeaux de roses vermeilles, enveloppait d’un gracieux prestige cette fée voleuse d’enfants. Par moments, il semblait qu’elle cachât, au fond de son cœur mystérieux de femme ou de fée, comme un secret dépit de la passion de Lancelot pour Genièvre, mais elle le cachait si bien qu’elle n’agissait que pour les combler de ses faveurs.