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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

flamme ces poèmes de toute sa ferveur. Entre deux reprises de combat, les champions adverses, secourables l’un à l’autre, s’agenouillent l’un près de l’autre, se faisant boire avec une maternelle tendresse. Au milieu même des luttes sanglantes, le sens du mot chevalerie rappelait aux hommes que les causes de l’amour sont plus profondes que celles de la haine. Ce fut la première floraison de notre sol littéraire national.

Mais un autre monde, celtique et breton d’origine, rôdait autour de celui-ci. Les capricieuses et peu sûres dames des fontaines et des clairs de lune n’attendaient qu’une brèche pour s’introduire dans la place. Elles ne ressemblaient guère, pourtant, aux princesses héroïques des chansons de geste. Vaniteuses, instables, changeantes, elles différaient d’elles autant que les héroïnes d’Ibsen peuvent différer de celles de Corneille. Une Viviane, une Morgane ont des ambitions démesurées. Elles s’insinuent dans le cycle des aventures épiques, elles se glissent au cœur des vieux poèmes. Elles se penchent sur les berceaux, elles président aux aventures des guerriers. Elles sont belles et blanches, avec une nuance de caprice et de mélancolie.

Morgane la druidesse, Morgane la vierge royale, reparaît dans les « gestes » carolingiennes ; elle y prend ses ébats, librement, parfois avec dévergondage. Elle semble suivre une double carrière dans les aventures carolingiennes et celles de la Table-Ronde, mais les deux courants nous la montrent éprise de beaux chevaliers auxquels elle accorde ses faveurs.

Ogier de Danemark et Guillaume au Court-Nez, où les suivantes de Morgane enlèvent le géant Rainoart, furent postérieurs à la diffusion des romans