Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/227

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aux autres. Il me paraît sans intérêt, sans ambition, sans artifice. Je le trouve juste, sincère, égal. S’il y avait au monde dix hommes comme lui, en vérité, je crois qu’ils me réconcilieraient avec l’humanité.

Alcibiade. — Eh bien ! croyez-le donc. Demandez-lui si la raison permet d’être misanthrope au point où vous l’êtes.

Timon. — Je le veux ; quoiqu’il ait toujours été un peu trop facile et trop sociable, je ne crains pas de m’engager à suivre son conseil. Ô mon cher Socrate ! quand je vois les hommes, et que je jette ensuite les yeux sur vous, je suis tenté de croire que vous êtes Minerve, qui est venue sous une figure d’homme instruire sa ville. Parlez-moi selon votre cœur : me conseilleriez-vous de rentrer dans la société empestée des hommes, aveugles, méchants et trompeurs ?

Socrate. — Non, je ne vous conseillerai jamais de vous rengager, ni dans les assemblées du peuple, ni dans les festins pleins de licence, ni dans aucune société avec un grand nombre de citoyens ; car le grand nombre est toujours corrompu. Une retraite honnête et tranquille, à l’abri des passions des hommes et des siennes propres, est le seul état qui convienne à un vrai philosophe. Mais il faut aimer les hommes et leur faire du bien malgré leurs défauts. Il ne faut rien attendre d’eux que de l’ingratitude, et les servir sans intérêt. Vivre au milieu d’eux pour les tromper, pour les éblouir, et pour en tirer de quoi contenter ses passions, c’est être le plus méchant des hommes et se préparer des malheurs qu’on mérite : mais se tenir à l’écart, et néanmoins à portée d’instruire et de servir certains