Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Dion. — Peut-on gouverner la république sans être exposé aux traîtres et aux envieux ?

Gélon. — Oui, sans doute ; j’en suis une belle preuve. Je n’étais pas Syracusain ; quoique étranger, on me vint chercher pour me faire roi ; on me fit accepter le diadème ; je le portai avec tant de douceur et de modération pour le bonheur des peuples, que mon nom est encore aimé et révéré par les citoyens, quoique ma famille, qui a régné après moi, m’ait déshonoré par ses vices. On les a soufferts pour l’amour de moi. Après cet exemple, il faut avouer qu’on peut commander sans se faire haïr. Mais ce n’est pas à moi qu’il faut cacher tes fautes ; la prospérité t’avait fait oublier la philosophie de ton ami Platon.

Dion. — Hé ! quel moyen d’être philosophe, quand on est le maître de tout et qu’on a des passions qu’aucune crainte ne retient !

Gélon. — J’avoue que les hommes qui gouvernent les autres me font pitié ; cette grande puissance de faire le mal est un horrible poison. Mais enfin j’étais homme comme toi, et cependant j’ai vécu dans l’autorité royale jusqu’à une extrême vieillesse, sans abuser de ma puissance.

Dion. — Je reviens toujours là : il est facile d’être philosophe dans une condition privée ; mais quand on est au-dessus de tout…

Gélon. — Hé ! c’est quand on se voit au-dessus de tout, qu’on a un plus grand besoin de philosophie pour soi et pour les autres qu’on doit gouverner. Alors il faut être doublement sage, et borner au dedans par sa raison une puissance que rien ne borne au dehors.

Dion. — Mais j’avais vu le vieux Denys, mon