donc ? Et que savez-vous donc, vous qui passez pour un si savant homme ?
Pyrrhon. — Moi, je ne sais rien.
Le voisin. — Qu’apprend-on donc à vous écouter ?
Pyrrhon. — Rien, rien du tout.
Le voisin. — Pourquoi donc vous écoute-t-on ?
Pyrrhon. — Pour se convaincre de son ignorance. N’est-ce pas savoir beaucoup, que de savoir qu’on ne sait rien ?
Le voisin. — Non, ce n’est pas savoir grand’chose. Un paysan bien grossier et bien ignorant connaît son ignorance, et il n’est pourtant ni philosophe ni habile homme ; et il connaît pourtant mieux son ignorance que vous la vôtre, car vous vous croyez au-dessus de tout le genre humain en affectant d’ignorer toutes choses. Cette ignorance affectée ne vous ôte point la présomption ; au lieu que le paysan qui connaît son ignorance se défie de lui-même en toutes choses et de bonne foi.
Pyrrhon. — Le paysan ne croit ignorer que certaines choses élevées, et qui demandent de l’étude ; mais il ne croit pas ignorer qu’il marche, qu’il parle, qu’il vit. Pour moi, j’ignore tout cela, et par principes.
Le voisin. — Quoi ! vous ignorez tout cela de vous ? Beaux principes, de n’en admettre aucun !
Pyrrhon. — Oui, j’ignore si je vis, si je suis : en un mot, j’ignore toutes choses sans exception.
Le voisin. — Mais ignorez-vous que vous pensez ?
Pyrrhon. — Oui, je l’ignore.
Le voisin. — Ignorer toutes choses, c’est douter de toutes choses, et ne trouver rien de certain ; n’est-il pas vrai ?