Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/284

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une impiété que de prendre les armes contre la mère qui nous a fait naître.

Coriolanus. — Ces grands noms de mère et de patrie ne sont que des noms. Les hommes naissent libres et indépendants ; les sociétés, avec toutes leurs subordinations et leurs polices, sont des institutions humaines qui ne peuvent jamais détruire la liberté essentielle à l’homme. Si la société d’hommes dans laquelle nous sommes nés manque à la justice et à la bonne foi, nous ne lui devons plus rien, nous rentrons dans les droits naturels de notre liberté, et nous pouvons aller chercher quelque autre société plus raisonnable pour y vivre en repos, comme un voyageur passe de ville en ville, selon son goût et sa commodité. Toutes ces belles idées de patrie ont été données par des esprits artificieux et pleins d’ambition, pour nous dominer ; les législateurs nous en ont bien fait accroire. Mais il faut toujours revenir au droit naturel, qui rend chaque homme libre et indépendant. Chaque homme étant né dans cette indépendance à l’égard des autres, il n’engage sa liberté, en se mettant dans la société d’un peuple, qu’à condition qu’il sera traité équitablement ; dès que la société manque à la condition, le particulier rentre dans ses droits, et la terre entière est à lui aussi bien qu’aux autres. Il n’a qu’à se garantir d’une force supérieure à la sienne et qu’à jouir de sa liberté.

Camillus. — Vous voilà devenu bien subtil philosophe ici-bas ; on dit que vous étiez moins adonné au raisonnement pendant que vous étiez vivant. Mais ne voyez-vous pas votre erreur ? Ce pacte avec une société peut avoir quelque vraisemblance quand un homme choisit un pays