Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/291

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Camillus. — Nous avons ici-bas les ombres de plusieurs grands hommes qui ont fait ce que je vous dis. Thémistocle, ayant fait la faute de s’en aller en Perse, aima mieux mourir et s’empoisonner en buvant du sang de taureau que de servir le roi de Perse contre les Athéniens. Scipion, vainqueur de l’Afrique, ayant été traité indignement à Rome, à cause qu’on accusait son frère d’avoir pris de l’argent dans sa guerre contre Antiochus, se retira à Linternum, où il passa dans la solitude le reste de ses jours, ne pouvant se résoudre ni à vivre au milieu de sa patrie ingrate ni à manquer à la fidélité qu’il lui devait : voilà ce que nous avons appris de lui depuis qu’il est descendu dans le royaume de Pluton.

Coriolanus. — Vous citez les autres exemples ; et vous ne dites rien du vôtre, qui est le plus beau de tous.

Camillus. — Il est vrai que l’injustice qu’on m’avait faite me rendait inutile. Les autres capitaines mêmes avaient perdu toute autorité ; on ne faisait plus que flatter le peuple ; et vous savez combien il est funeste à un État que ceux qui le gouvernent se repaissent toujours d’espérances vaines et flatteuses. Tout à coup les Gaulois, auxquels on avait manqué de parole, gagnèrent la bataille d’Allia ; c’était fait de Rome s’ils eussent poursuivi les Romains. Vous savez que la jeunesse se renferma dans le Capitole, et que les sénateurs se mirent dans leurs sièges curules, où ils furent tués. Il n’est pas nécessaire de raconter le reste, que vous avez ouï dire cent fois. Si je n’eusse étouffé mon ressentiment pour sauver ma patrie, tout était perdu sans ressource. J’étais à Ardée quand