Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/307

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beaucoup plus des fous que des sages. Les sages ne le sont qu’à demi, et ne donnent que de faibles leçons ; mais les fous sont bien fous, et il n’y a qu’à les voir pour savoir comment il ne faut pas faire.

Scipion. — J’en conviens ; mais toi qui étais si sage, pourquoi étais-tu d’abord si ennemi des Grecs et, dans la suite, pourquoi pris-tu tant de peine, dans ta vieillesse, pour apprendre leur langue ?

Caton. — C’est que je craignais que les Grecs nous communiqueraient bien plus leurs arts que leur sagesse, et leurs mœurs dissolues que leurs sciences. Je n’aimais point tous ces joueurs d’instruments, ces musiciens, ces poètes, ces peintres, ces sculpteurs ; tout cela ne sert qu’à la curiosité, et à une vie voluptueuse. Je trouvais qu’il valait mieux garder notre simplicité rustique, notre vie pauvre et laborieuse dans l’agriculture ; être plus grossier, et mieux vivre ; moins discourir sur la vertu, et la pratiquer davantage.

Scipion. — Pourquoi donc appris-tu le grec ?

Caton. — À la fin, je me laissai enchanter par les Sirènes, comme les autres. Je prêtai l’oreille aux muses grecques. Mais je crains bien que tous ces petits sophistes grecs, qui viennent affamés à Rome pour faire fortune, achèveront de corrompre les mœurs romaines.

Scipion. — Ce n’est pas sans sujet que tu le crains ; mais tu aurais dû craindre aussi de corrompre les mœurs romaines par ton avarice.

Caton. — Moi avare ! j’étais bon ménager ; je ne voulais laisser rien perdre ; mais je ne dépensais que trop !