Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/308

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Rhadamanthe. — Ho ! voilà le langage de l’avarice, qui croit toujours être prodigue.

Scipion. — N’est-il pas honteux que tu aies abandonné l’agriculture pour te jeter dans l’usure la plus infâme ? Tu ne trouvais pas sur tes vieux jours, à ce que j’ai ouï dire, que les terres et les troupeaux rapportassent assez de revenu ; tu devins usurier. Est-ce là le métier d’un censeur qui veut réformer la ville ? Qu’as-tu à répondre ?

Rhadamanthe. — Tu n’oses parler, et je vois bien que tu es coupable. Voici une cause assez difficile à juger. Il faut, mon pauvre Caton, te punir et te récompenser tout ensemble : tu m’embarrasses fort. Voici ma décision. Je suis touché de tes vertus et de tes grandes actions pour ta république : mais aussi quelle apparence de mettre un usurier dans les Champs Élysées ! ce serait un trop grand scandale. Tu demeureras donc, s’il te plaît, à la porte ; mais ta consolation sera d’empêcher les autres d’y entrer. Tu contrôleras tous ceux qui se présenteront ; tu seras censeur ici-bas comme tu l’étais à Rome. Tu auras pour menus plaisirs toutes les vertus du genre humain à critiquer. Je te livre Lucius Scipion, et L. Quintius, et tous les autres, pour répandre sur eux ta bile ; tu pourras même l’exercer sur tous les autres morts qui viendront en foule de tout l’univers : citoyens romains, grands capitaines, rois barbares, tyrans des nations, tous seront soumis à ton chagrin et à ta satire. Mais prends garde à Lucius Scipion ; car je l’établis pour te censurer à ton tour impitoyablement. Tiens, voilà de l’argent pour en prêter à tous les morts qui n’en auront point dans la bouche pour passer la barque de Charon. Si tu