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XXXIX

ANNIBAL ET SCIPION


L’ambition ne connaît point de bornes


Scipion. — Il me semble que je suis encore à notre conférence avant la bataille de Zama ; mais nous ne sommes pas ici dans la même situation. Nous n’avons plus de différend : toutes nos guerres sont éteintes dans les eaux du fleuve d’oubli. Après avoir conquis l’un et l’autre tant de provinces, une urne a suffi à recueillir nos cendres.

Annibal. — Tout cela est vrai ; notre gloire passée n’est plus qu’un songe, nous n’avons plus rien à conquérir ici ; pour moi, je m’en ennuie.

Scipion. — Il faut avouer que vous étiez bien inquiet et bien insatiable.

Annibal. — Pourquoi ? je trouve que j’étais bien modéré.

Scipion. — Modéré ! quelle modération ! D’abord les Carthaginois ne songeaient qu’à se maintenir en Sicile, dans la partie occidentale. Le sage roi Gélon, et puis le tyran Denys, leur avaient donné bien de l’exercice.

Annibal. — Il est vrai ; mais dès lors nous songions à subjuguer toutes ces villes florissantes qui se gouvernaient en républiques, comme Léonte, Agrigente, Sélinonte.

Scipion. — Mais enfin les Romains et les Carthaginois, étant vis-à-vis les uns des autres, la mer entre deux, se regardaient d’un œil jaloux et se disputaient l’île de Sicile, qui était au milieu des