Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/316

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pour toutes les ombres. Les trois lits étaient pleins : la grande compagnie vous plaît-elle ?

Crassus. — Je vous ai ouï dire qu’elle ne convient pas et qu’il vaut mieux être peu de gens bien choisis.

Lucullus. — Venons au fait. Combien vous coûte ce repas ?

Crassus. — Cent cinquante grands sesterces.

Lucullus. — Vous n’hésitez point à répondre, et vous savez bien votre compte ; ce souper se fit hier soir, et vous savez déjà à quoi se monte toute la dépense. Sans doute elle vous tient au cœur.

Crassus. — Il est vrai que je regrette ces dépenses superflues et excessives.

Lucullus. — Pourquoi donc les faites-vous ?

Crassus. — Je ne les fais pas souvent.

Lucullus. — Si j’étais en votre place, je ne les ferais jamais. Votre inclination ne vous y porte point ; qu’est-ce qui vous y oblige ?

Crassus. — Une mauvaise honte et la crainte de passer chez vous pour avare. Les prodigues prennent toujours la frugalité pour une avarice infâme.

Lucullus. — Vous avez donc donné un souper magnifique comme un poltron va au combat, en désespéré ?

Crassus. — Pas tout à fait de même, car je ne prétends pas être avare ; je crois même, en bonne foi, que je ne suis pas assez épargnant.

Lucullus. — Tous les avares en croient autant d’eux-mêmes. Mais enfin pourquoi ne vous êtes-vous pas tenu dans la médiocrité, puisque l’excès de la dépense vous choque tant ?