Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/324

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vraie sûreté est de ne faire que du bien et d’intéresser le monde entier à sa conservation. Tu as voulu régner et te faire craindre. Eh bien ! tu as régné, on t’a craint ; mais les hommes se sont délivrés et du tyran et de la crainte tout ensemble. Ainsi périssent ceux qui, voulant être craints de tous les hommes, ont eux-mêmes tout à craindre de tous les hommes intéressés à les prévenir et à se délivrer.

César. — Mais cette puissance, que tu appelles tyrannique, était devenue nécessaire. Rome ne pouvait plus soutenir sa liberté ; il lui fallait un maître. Pompée commençait à l’être ; je ne pus souffrir qu’il le fût à mon préjudice.

Caton. — Il fallait abattre le tyran sans aspirer à la tyrannie. Après tout, si Rome était assez lâche pour ne pouvoir plus se passer d’un maître, il valait mieux laisser faire ce crime à un autre. Quand un voyageur va tomber entre les mains de scélérats qui se préparent à le voler, faut-il les prévenir en se hâtant de faire une action si horrible ? Mais la trop grande autorité de Pompée t’a servi de prétexte. Ne sait-on pas ce que tu dis, en allant en Espagne, dans une petite ville où divers citoyens briguaient la magistrature ? Crois-tu qu’on ait oublié ce vers grec[1] qui était si

  1. Ce sont deux vers qu’Euripide met dans la bouche d’Étéocle, Phœn., acte II, sc. iii. Les voici, avec la traduction littérale :

    Εἴπερ γάρ ἀδικεῖν χρὴ, τυραννίδος πέρι
    Κάλλιστον ἀδικεῖν, τἂλλα δ’εὐσεϐεῖν χρεών.

    « S’il faut enfin violer la justice pour posséder un trône, il est beau d’être injuste : en toute autre occasion la piété doit conserver ses droits. » Ce trait de César est rapporté par Cicéron, De Offic., lib. III, cap. xxi, n. 82. (Éd.)