Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/408

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Le moine. — Oui, quand on est à l’âge de Votre Majesté ; mais au mien, on dort tout debout.

Charles. — Eh bien ! mon frère, c’est aux gens de mon âge à éveiller la jeunesse trop endormie.

Le moine. — Est-ce que vous n’avez plus rien de meilleur à faire ? Après avoir si longtemps troublé le repos du monde entier, ne sauriez-vous me laisser le mien ?

Charles. — Je trouve qu’en se levant ici de bon matin, on est encore bien en repos dans cette profonde solitude.

Le moine. — Je vous entends, sacrée Majesté : quand vous vous êtes levé ici de bon matin, vous y trouvez la journée bien longue : vous êtes accoutumé à un plus grand mouvement ; avouez-le sans façon. Vous vous ennuyez de n’avoir ici qu’à prier Dieu, qu’à monter vos horloges, et qu’à éveiller de pauvres novices qui ne sont pas coupables de votre ennui.

Charles. — J’ai ici douze domestiques que je me suis réservés.

Le moine. — C’est une triste conversation pour un homme qui était en commerce avec toutes les nations connues.

Charles. — J’ai un petit cheval pour me promener dans ce beau vallon orné d’orangers, de myrtes, de grenadiers, de lauriers et de mille fleurs, au pied de ces belles montagnes de l’Estramadure, couvertes de troupeaux innombrables.

Le moine. — Tout cela est beau ; mais tout cela ne parle point. Vous voudriez un peu de bruit et de fracas.

Charles. — J’ai cent mille écus de pension.