sans suite : j’ai des enfants ; je veux me faire aimer d’eux en leur amassant du bien, et leur donnant moyen de mener une vie heureuse.
Dorante. — Vous voulez, dites-vous, vous faire aimer de vos enfants ?
Harpagon. — Oui, sans doute ; et je leur en donne un sujet bien fort en me refusant pour eux les choses les plus nécessaires.
Dorante. — Si vous avez envie de vous faire haïr d’eux, vous ne pouvez pas prendre une plus sûre voie.
Harpagon. — Ah ! il faudrait qu’ils fussent les plus dénaturés des hommes : un père qui n’envisage qu’eux, qui se compte pour rien, qui renonce à toutes les commodités, à toutes les douceurs de la vie !
Dorante. — Seigneur Harpagon, j’ai une autre chose à vous dire : mais je crains de vous fâcher.
Harpagon. — Non, non ; je ne veux pas qu’on me dissimule rien.
Dorante. — Vous n’aimez que vos enfants, dites-vous.
Harpagon. — Je vous en fais vous-même le juge ; voyez ce que je fais pour eux.
Dorante. — C’est vous qui m’obligez de parler ; vous ne les aimez point, seigneur Harpagon ; et vous, vous croyez ne vous point aimer ?
Harpagon. — Moi ? hé ! de quelle manière est-ce que je me traite ?
Dorante. — Vous n’aimez que vous.
Harpagon. — Ô ciel ! pouvais-je attendre cette injustice de mon meilleur ami ?
Dorante. — Doucement ; mon but est de vous détromper par une persuasion qui vous soit utile,