Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/464

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et non de vous aigrir. Vous aimez, dites-vous, vos enfants ?

Harpagon. — Si je les aime !

Dorante. — Avez-vous eu soin de leur éducation ?

Harpagon. — Hélas ! je n’étais pas en état de cela ; les maîtres étaient d’une cherté épouvantable : à quoi leur aurait servi la science, si je les avais laissés sans pain ?

Dorante. — C’est-à-dire (car il faut convenir de bonne foi de la vérité) que vous les avez laissés dans une grossière ignorance, indigne de gens qui ont une naissance honnête. Vous n’avez eu nul soin de cultiver en eux la vertu ; vous n’avez jamais étudié leurs inclinations : s’ils ont de la probité, vous n’y avez aucune part et c’est un bonheur que vous ne méritez pas.

Harpagon. — Mais on ne peut leur procurer tous les avantages.

Dorante. — Mais on doit au moins songer au plus important de tous, à celui dont rien ne dédommage, à celui qui peut suppléer à tout ce qui manque : cet avantage, c’est la vertu.

Harpagon. — Il faut être honnête homme ; mais il faut avoir de quoi vivre, et rien n’est plus méprisable qu’un homme dans la pauvreté.

Dorante. — Un malhonnête homme l’est bien davantage, eût-il toutes les richesses de Crésus.

Harpagon. — Eh bien ! j’ai trop tourné ma tendresse pour mes enfants du côté du bien ; prouverez-vous par là que je ne les ai point aimés ?

Dorante. — Oui, seigneur Harpagon, vous ne les aimez pas ; et ce n’est point de les rendre riches que vous êtes occupé.

Harpagon. — Comment ! je leur conserve tout