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JEAN DE BRÉBEUF

malheurs les atteindront bientôt, eux et leur tribu. » Épouvantés par les menaces du jeune iroquois, ils n’avaient donc pas bougé de leur lit et avaient laissé partir Marie qui, d’ailleurs, avait paru suivre l’indien de bonne volonté.

Jean de Brébeuf demeurait fort intrigué. Par quel prodige Marie était-elle partie de son plein vouloir ? Quoi ! aimait-elle l’Araignée ? Son amour pour Jean Huron n’avait-il été qu’une comédie ? Au fait, elle avait avoué ce soir-là qu’elle n’aimait pas Jean Huron autant qu’elle avait pensé ! Il fallait donc supposer que Marie aimait l’Araignée et qu’elle avait toujours dissimulé ses sentiments. Cependant le missionnaire ne pouvait encore admettre pour réelle cette hypothèse. À moins, se disait-il, qu’elle n’ait obéi aux menaces faites contre elle-même et contre sa tribu ? Jean de Brébeuf était plutôt enclin à accepter cette hypothèse. Mais il n’osait s’appuyer sur aucune de ces hypothèses pour saisir la vérité, parce qu’il connaissait le caractère de ces enfants de la forêt, caractère très changeant, sujet aux revirements les plus subits et les plus extraordinaires.

Il essayait donc de percer le mystère qui se présentait à lui, lorsque, tout à coup, Jean Huron parut. D’une voix sourde et agitée, le jeune homme cria :

— Marie est partie ! Je le sens… je le sais…

— Oui, fit seulement Jean de Brébeuf. Mais sois tranquille, ajouta-t-il aussitôt, nous la ramènerons !

— Non, répliqua durement Jean Huron… elle sera morte !

— Morte, dis-tu ?

— Oui… l’Araignée la tuera plutôt que de me la rendre !

Puis il fit entendre un long rugissement, tourna sur lui-même et se jeta dehors, avant que le missionnaire eût fait un mouvement pour le retenir.

Jean de Brébeuf s’élança après lui.

Mais dans les ténèbres, il ne put voir le jeune homme courir à une plateforme, enjamber la palissade et sauter de l’autre côté.

Que faire ? se demanda le missionnaire.

Mû par une idée nouvelle, il se dirigea hâtivement vers sa demeure et réveilla Gaspard Remulot.

— Ah ! ça, s’écria l’ancien marin la voix enrouée, est-ce que les Iroquois sont là ?

— Gaspard, dit le missionnaire, habille-toi, allume ta lanterne et suis-moi. Marie vient d’être enlevée par l’Araignée, et nous allons essayer de la lui reprendre.

— Oh ! le maudit iroquois ! jura Gaspard avec colère. Soyez tranquille, Père, cette fois je vais l’envoyer promener au Paradis de ses pères, par mon âme !

Gaspard ne prit pas seulement la lanterne, mais aussi son fusil, et l’instant d’après, accompagnés par les huit guerriers hurons qui montaient la garde autour de la palissade, lui et le missionnaire s’engageaient dans la forêt.

Mais là, dans les broussailles épaisses et obscures, à travers des troncs d’arbres renversés, au travers de fourrés souvent inextricables, les dix hommes n’auraient pu jamais passer, même éclairés de leur lanterne, si au loin la lueur d’un feu de bivouac ne les eût guidés. Ils auraient certainement erré à l’aventure sans jamais atteindre le but proposé, car il était impossible de suivre une direction exacte, encore moins quand ils ignoraient la direction prise par l’Araignée. Seuls, peut-être, Jean Huron et l’Araignée pouvaient se diriger sûrement la nuit dans la forêt. Jean de Brébeuf avait bien pensé à tout cela, mais comme toujours il se jetait dans la lutte avec l’assurance que Dieu l’aiderait. Sa confiance encore n’avait pas été vaine : alors que, après un moment de marche, le missionnaire et ses compagnons se trouvaient déjà désorientés, la clarté d’un feu lointain — telle l’étoile de Bethléem — vint guider leurs pas. De suite Jean de Brébeuf pensa que c’était un feu allumé par les Iroquois. Mais à quelle distance se trouvait ce feu ? N’importe ! il fallait l’atteindre le plus tôt possible, et le missionnaire et ses compagnons hâtèrent leur marche.

La tempête diminuait rapidement. Le vent ne soufflait plus dans les cimes que par secousses molles. Et par échappées on pouvait de temps à autre percevoir le rayonnement d’une étoile. Et à mesure que le calme se faisait au-dessus des cimes, sous la voûte de la forêt le silence grandissait.

Gaspard avait éteint la lanterne pour que sa lumière n’attirât pas l’attention de l’ennemi.

Après une heure de marche la petite