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JEAN DE BRÉBEUF

Marie garda le silence.

L’indien alla poser la bougie sur la bûche de bois. Il croisa encore ses bras et, patient, impassible, il attendit.

La jeune fille demeurait silencieuse.

— Ta langue est-elle encore glacée ? interrogea sourdement l’Araignée.

— Tes menaces, grand chef, m’épouvantent. Le Père Noir ne t’a fait aucun mal ; il est bon, doux, miséricordieux. Il a épargné ta vie cette nuit, l’as-tu déjà oublié ?

— Non… mais je hais son Dieu et son pouvoir !

— Son Dieu t’aime et son pouvoir s’étend jusqu’à toi pour te protéger ! Pourquoi veux-tu le faire mourir ? Quant à Jean Huron, il ne t’égale pas comme guerrier et comme chef, tu ne peux l’envier ! Ma tribu te craint et t’admire, pourquoi vouloir la massacrer ? Oui, grand chef, pourquoi toutes ces menaces ?

— Pour les exécuter, si tu refuses d’être ma femme, Madonna !

— Tu le veux absolument ?

— Absolument !

— L’Araignée est brave et grand… me jure-t-il de tenir sa promesse, si j’accepte d’être sa femme ?

— Quelle promesse ?

— De ne pas massacrer ma tribu, de ne pas tuer le Père Noir, de ne pas torturer Jean Huron.

— L’Araignée promet.

— Le jure-t-il sur les os de son père et ceux de ses aïeux ?

— Il jure et prend à témoin le Grand Manitou.

— Jure-t-il aussi par le grand Dieu des Chrétiens ?

— Il le jure, sans le connaître.

— Je ferai connaître le Dieu des Chrétiens au grand chef des Agniers.

— Il écoutera patiemment sa femme.

— Il le jure encore ?

— Il jure !

Marie se leva vivement, tendit ses deux mains au jeune chef et dit seulement :

— Emmène-moi !

L’indien sourit. Et lui, si impassible, si fort, trembla un peu en prenant les deux mains fines de la huronne. Sa voix se fit douce à l’extrême et tremblante aussi quand il prononça :

— Viens, Madonna… tu seras la femme du plus grand des chefs !

La jeune fille se baissa et souffla la bougie. Dans les ténèbres opaques qui se firent, elle suivit l’indien.

En traversant la chambre de ses parents elle dit :

— C’est Marie qui s’en va avec le grand chef des Iroquois, adieu !

Un sourd-grondement partit d’un angle de la pièce, bientôt suivi par le sanglot d’une femme.

Sans une faiblesse, sans une larme, Marie sortit de la cabane.

Le vent soufflait toujours avec une grande violence.

L’Araignée entraîna la huronne à une plateforme du côté de la forêt. Il sauta de l’autre côté de la palissade et tendit les mains vers Marie, disant :

— Viens !…

La jeune fille se jeta dans ses bras.

L’indien la serra sur lui avec une furieuse ardeur. Puis il colla ses lèvres à son oreille et prononça en ricanant :

— À présent, je te tiens, Madonna ! Tu seras ma femme ! Mais aussi, pour les outrages que tu m’as fait subir, pour les affronts de Jean Huron, les injures du Père Noir, le mépris des Hurons, je reviendrai… oui, je reviendrai avec mes guerriers pour raser ton village, tuer tes frères jusqu’au dernier, pour massacrer le Père Noir, pour torturer ton Jean…

La jeune fille se débattit violemment dans les bras de l’indien.. Celui-ci la serra davantage, sauta sur les abatis et s’élança avec sa proie vers la forêt.

Marie poussa un cri déchirant…


CHAPITRE X

UN DRAME DANS LA FORÊT


Malgré qu’il fût désemparé devant la réalité de l’événement, Jean de Brébeuf ne perdit pas la tête.

Il interrogea les parents de Marie.

Voici ce qu’ils narrèrent : l’Araignée était entré à l’improviste dans leur cabane. Il avait tiré un couteau et avait menacé de les tuer si tous deux ne gardaient le silence. Puis il leur avait dit : « Je suis venu chercher Madonna pour en faire ma femme. Elle sera la femme d’un grand chef. Elle sera honorée dans ma nation et admirée. Après elle son père et sa mère seront les premiers de la nation. Mais s’ils s’opposent à ma volonté, les plus grands