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JEAN DE BRÉBEUF

affreux ! Ne nous laissez pas nous en aller dans les ténèbres de la mort comme s’en vont ceux qui ont refusé le pardon des offenses, mais faites-nous entrer dans la voie de la vie et de la lumière que vous avez suivie pour atteindre au grand royaume des joies célestes et éternelles !…

Et l’office divin était depuis longtemps fini, que Jean de Brébeuf, agenouillé, prosterné devant le petit autel, demeurait plongé dans une sainte méditation, et que les Hurons, tout impressionnés par les grandes paroles de leur Père Noir, n’osaient quitter la chapelle. Ils demeuraient comme éblouis, les yeux fixés sur le missionnaire, silencieux, immobiles, craignant de troubler le recueillement de l’apôtre.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le sermon de Jean de Brébeuf avait rétabli la confiance dans les âmes. Aussi, lorsque après la messe, trois hurons déloyaux tentèrent de soulever la bourgade contre le missionnaire, furent-ils vivement repoussés et menacés d’être chassés du village s’ils ne cessaient leurs ignobles menées. Ils ne furent pas tout à fait rebutés. À quelques jours de là, le missionnaire s’étant rendu en compagnie de Gaspard à la bourgade Saint-Ignace où il voulait conférer avec le Père Lalemant, les trois hurons rassemblèrent la population de Saint-Louis, jurèrent que le Père Noir trahissait la tribu, qu’ils avaient surpris ses secrets, et que les pires calamités allaient s’abattre sur la tribu si le Père Noir n’était chassé.

L’un des guerriers hurons se leva tout à coup et cria avec colère aux trois calomniateurs :

— La langue des trois guerriers s’est corrompue à la langue des guerriers iroquois, elle est plus sale et plus dangereuse que la langue d’une vipère !

Et il cracha par terre avec mépris.

Toute la bourgade approuva ces paroles fières, et les trois traîtres en furent une fois encore pour leurs peines. Mais fort mécontents, ils quittèrent Saint-Louis et allèrent vivre à la bourgade Saint-Ignace. Là ils recommencèrent leurs attaques sournoises contre Jean de Brébeuf et Gabriel Lalemant, s’ingéniant à faire croire aux hurons que les deux missionnaires allaient attirer tous les malheurs sur la tribu. Là, ils furent plus écoutés, parce que Gabriel Lalemant, presque étranger à ces sauvages, attendu qu’il n’était venu en Huronie qu’au printemps, ne possédait pas le prestige de Brébeuf dont il était l’assistant. Mais le jeune missionnaire fut tôt mis au courant de ce qui se passait. Il s’aperçut d’abord que le nombre des assistants aux offices divins diminuaient peu à peu, que beaucoup d’enfants manquaient à la classe, et il découvrit que, contre l’ordinaire, des guerriers allaient chasser dans la forêt le dimanche.

De suite il voulut faire rentrer dans le devoir ces brebis infidèles, mais il n’y put réussir. Il entendait des murmures de mécontentement, des grondements de sourde colère, il saisissait des regards menaçants. Ce que voyant, il fit venir Jean de Brébeuf. Celui-ci vint à Saint-Ignace un dimanche du commencement de septembre, quelques jours après que la récolte de maïs et de blé eut été mise à l’abri dans une grande baraque qui servait de grange.

La parole chaude, vibrante et si sincère de Jean de Brébeuf produisit l’effet attendu : les murmures cessèrent, la confiance se rétablit et la paix et l’harmonie continuèrent de régner sur le village. Les trois hurons qui avaient déserté Saint-Louis furent chassés de Saint-Ignace. Ils retournèrent au village Saint-Louis, mais les guerriers hurons leur en refusèrent l’entrée.

Ceci s’était passé à l’insu du missionnaire.

Les trois malheureux hurons errèrent dans la forêt pendant un mois comme des âmes en peine. Un jour de froidure du mois d’octobre ils revinrent frapper à la porte de la palissade. Averti de leur présence, Jean de Brébeuf alla ouvrir lui-même la porte de la palissade et dit avec son sourire inaltérable :

— Entrez, mes fils, c’est ici votre maison et il serait injuste de vous en chasser !

Ces trois hurons allaient héroïquement endurer le martyre avec leur Père Noir.

Tout était donc rentré dans la paix et la tranquillité.

Vint l’hiver.

Ce fut l’époque des grandes chasses. Malheureusement, peut-être à cause de l’épaisseur des neiges, le gibier fut loin d’être abondant, il manqua des journées entières. Les Hurons s’en plaignirent au missionnaire qui leur répondit :