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JEAN DE BRÉBEUF

L’indien esquissa un geste dédaigneux.

L’armée se mit en marche précédée de l’Araignée et de Marie que deux sauvages à la mine féroce escortaient.

À présent que le sort allait s’accomplir, la jeune huronne n’espéra plus qu’en Dieu.


CHAPITRE XVII

L’ATTAQUE


Les premières lueurs de l’aube blanchissaient lentement la nuit.

En observant le plus grand silence, sans que le moindre bruit fût produit, les bandes iroquoises entourèrent le village Saint-Ignace.

Tout dormait.

Là, on n’apercevait pas une seule sentinelle. Une mince palissade de pieux seulement protégeait la bourgade et ses habitants. Pour les Iroquois c’était un jeu d’enfant.

L’Araignée jeta un ordre bref.

Deux cents haches aussitôt attaquaient la palissade. Aux premiers coups de cognée le village entier bondit sur ses pieds ; mais aux deuxième, troisième et quatrième coup des brèches étaient pratiquées. Les premiers guerriers hurons de la bourgade n’avaient pas encore décroché l’arc et saisi le carquois, que déjà trois cents Iroquois faisaient irruption par les brèches en lançant un formidable cri de guerre.

L’épouvante s’empara des malheureux hurons.

L’ennemi parcourait le village. À la porte de la palissade et aux brèches des Iroquois étaient apostés tuant sans pitié ceux qui voulaient s’enfuir. Les premiers guerriers hurons, une trentaine, qui essayèrent la résistance, furent en un moment désarmés et faits prisonniers.

Ce fut l’affreuse panique qui se propagea en quelques secondes parmi les cent-quatre-vingts habitants de la bourgade.

Ce fut court ; après le cri féroce des Iroquois retentit le cri d’effroi et de désespoir de la bourgade. Le massacre commença. La plupart des enfants et des femmes furent tués dans leurs lits. Mais on tuait le moins possible les guerriers qu’on réservait pour les poteaux de torture. Puis toute la bourgade flamba aux cris de joie poussés par les guerriers de l’Araignée.

Cela avait duré dix minutes.

Trois hurons avaient échappé à la boucherie en réussissant à escalader la palissade. et dans une course effrénée ils avaient pris le chemin de la bourgade Saint-Louis.

Sept autres hurons avaient aussi été épargnés, mais ceux-là parce qu’ils avaient fait cause commune avec l’ennemi.

L’Araignée leur avait dit :

— Si vous me dites où se trouve le Père Noir, (il entendait Gabriel Lalemant) je vous laisserai la vie !

Ces hurons avaient répondu que Gabriel Lalemant était à la bourgade Saint-Louis où il avait passé la nuit.

Lorsque le feu eut été mis à toutes les huttes et bâtiments quelconques, l’Araignée laissa cent hommes pour garder à vue les prisonniers et avec le reste de sa bande il partit pour Saint-Louis. Les flammes de la bourgade éclairaient sa marche.

Marie essaya de le détourner de son projet.

— N’es-tu pas assez vengé, ô grand chef ?

— Non ! répondit sourdement l’Araignée.

Et il jeta à la jeune fille un regard sanglant.

La bande courait, silencieuse encore, vers la bourgade Saint-Louis.

Mais là on avait été prévenu par les trois Hurons échappés au massacre de la bourgade Saint-Ignace.

En quelques minutes tout le monde fut sur pied. On voyait dans le ciel pâle semé d’étoiles du matin le bûcher de Saint-Ignace refléter ses lueurs rouges. On entendait les crépitements des flammes, on percevait les chants joyeux des guerriers iroquois chargés de surveiller les prisonniers.

Jean de Brébeuf fut le premier debout, et le premier il organisa la défense. De son côté Gabriel Lalemant aidait aux femmes et aux enfants à préparer leur fuite ; car Jean de Brébeuf avait décidé qu’il ne restât dans la bourgade que les guerriers.

La surprise fut inouïe quand il fut constaté que Marie n’était pas dans la bourgade. Jean de Brébeuf pensa avec amertume :

— La malheureuse aura une fois encore tenté de sauver sa tribu, mais vainement, parce que l’Araignée n’entend pas renoncer à sa vengeance. Ô fille noble et sainte ! que le bon Dieu te récompense éternellement pour ton généreux et inutile sacrifice !…