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JEAN DE BRÉBEUF

Puis, quand tout son corps eut été déchiré, meurtri, on lui mit le vêtement imbibé de suif brûlant.

La victime se débattit violemment, rugit de douleur, et s’écrasa à terre pour se rouler dans la neige.

L’Araignée observait la figure de Jean de Brébeuf. Il tressaillit : cette figure demeurait tranquille et souriante.

Il grogna de colère et fit un geste. À ce geste l’un des trois iroquois fendit la tête du huron d’un coup de hache.

Puis, le jeune chef jeta cet ordre :

— Aux poteaux !…

L’heure terrible était venue.


CHAPITRE XIX

MARTYRE


Jean de Brébeuf fut rudement poussé vers le premier poteau, tout près de l’endroit où se tenait le chef iroquois. On le dépouilla rapidement de ses vêtements. L’Araignée se précipita sur le crucifix qui venait de tomber dans la neige, le saisit et, sardonique, cria :

— Chien, vois ton Dieu ! S’il est plus fort que moi, qu’il montre sa puissance !

Il jeta le crucifix par terre, il le piétina avec rage, le ramassa et le jeta dans un brasier.

Au ciel Jean de Brébeuf lança cette parole sublime :

— Pardon pour lui, ô Jésus ! c’est un insensé, il ne sait pas ce qu’il fait !

Puis, se jetant à genoux devant le poteau qu’on lui avait désigné, il l’embrassa, murmurant :

— Ô mon Dieu ! faites que je souffre plus que vous n’avez souffert, si c’est possible !

Des Iroquois le firent lever à coups de pied, le poussèrent contre le poteau et l’y attachèrent solidement à l’aide de lanières de peau de cerf.

Pendant ce temps, d’autres sauvages, non moins brutaux, non moins féroces et sanguinaires, attachaient à d’autres poteaux Gabriel Lalemant et les prisonniers hurons.

Alors commença un spectacle si horrible qu’il est impossible d’en faire la juste narration.

Il y avait quatorze poteaux, c’est-à-dire quatorze victimes, et autour de chaque victime s’agitait une bande forcenée de ces démons rouges.

Mais c’est Jean de Brébeuf qui avait autour de lui la plus grosse bande. À six pas de là, l’Araignée, drapé dans sa cape brodée de poils de porc-épic, demeurait comme une statue.

Au moment où un des bourreaux s’apprêtait à commencer le supplice, le jeune chef iroquois sortit de son mutisme et demanda :

— Veux-tu la liberté et la vie, chien ? Renie ton Dieu et adore le mien !

Jean de Brébeuf se borna à sourire. Tranquille, il priait les yeux levés au ciel.

— Allez ! commanda rudement le jeune chef.

Un sauvage saisit un brandon allumé et brûla la barbe du missionnaire. Il se produisit un curieux grésillement qui fit rire toute la bande. Jean de Brébeuf se contenta de sourire, tout en continuant de prier et d’implorer les forces nécessaires pour subir la torture.

Un deuxième sauvage lui enfonça un couteau dans la cuisse gauche et lui enleva une large tranche de chair. Il piqua cette tranche de chair au bout d’un bois et la suspendit un moment au-dessus de la flamme. Les braises crépitèrent sous les gouttes de sang qui tombaient. Et l’ayant tournée une fois, le sauvage en mangea un morceau et jeta le reste à un de ses congénères, qui l’avala gloutonnement comme un dogue avec un grognement de joie.

Jean de Brébeuf sourit encore. Sa figure ne perdait rien de sa placidité.

De ses yeux perçants l’Araignée ne le quittait pas une seconde. Il voulait saisir une défaillance, une expression de souffrance, une simple crispation des traits non seulement pour voir sa vengeance satisfaite, mais surtout pour se dire qu’il avait vaincu le missionnaire et son Dieu.

Aussi commençait-il à craindre que ce Dieu, dont lui avait parlé l’apôtre, ne possédât véritablement la toute-puissance.

Car Jean de Brébeuf demeurait inébranlable. À diverses reprises d’autres bourreaux lui arrachèrent des lambeaux de chair par toutes les parties de son corps, et d’autres apportaient du suif fondu et brûlant qu’ils faisaient couler sur les plaies vives.

Le corps de Jean de Brébeuf semblait de pierre, pas une fibre ne tressaillait. Seulement, sur ses lèvres s’amplifiait le sourire.

— Mon Seigneur Jésus, murmura-t-il une fois, voici que je me sens plus près de