Page:Féron - Jean de Brébeuf, 1928.djvu/69

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
67
JEAN DE BRÉBEUF

vous ! Tendez-moi vos bras, ô Seigneur ! tendez-moi vos divins bras !

Le sourire qui s’élargissait sur les lèvres de sa victime fit mal à l’Araignée ; il semblait que les souffrances de l’autre le torturaient lui-même, tant les traits de sa figure, généralement impassibles, se contractaient de moment en moment.

Un autre monstre s’approcha et versa sur la tête chauve du missionnaire de l’huile bouillante. Avec son sourire doux et sa voix suave Jean de Brébeuf dit au fauve :

— Merci, mon fils, tu me rafraîchis !

L’Araignée fit entendre un grognement de rage.

Il cria à l’un des tourmenteurs :

— Perce-lui les mains et les pieds comme son Dieu !

L’autre obéit avec une joie cruelle. Il tira du feu une barre de fer rougie et lentement perça les deux mains et les deux pieds du missionnaire. La chair grésillait, et aux narines des bourreaux montait une vapeur qui paraissait les enivrer davantage. La victime continuait de prier doucement.

De temps en temps arrivait jusqu’à Jean de Brébeuf un gémissement. Il tournait la tête, et à quelques poteaux plus loin il voyait Gabriel Lalemant qui, sous les tortures qu’on lui infligeait aussi, défaillait.

— Courage, mon fils, disait Jean de Brébeuf de sa voix chaude et ferme, Jésus a plus souffert que nous sans se plaindre. Bientôt vous reposerez dans ses bras !

Il ramenait ses regards remplis de lumières célestes sur ses bourreaux.

L’un approchait avec six haches rougies au bûcher et disposées en collier. Il dit en grimaçant :

— Si le Père Noir aime les parures, voici qui va le satisfaire.

Il mit l’horrible collier au cou du missionnaire qui lui répliqua :

— Oui, mon ami, ce collier m’est agréable et me fait beaucoup de bien, s’il n’est ni beau ni riche !

L’Araignée trépignait. Ah ! quels tourments donc inventer pour abattre cet homme ! S’il se réjouissait de voir et d’entendre Gabriel Lalemant gémir douloureusement, il enrageait de constater que Jean de Brébeuf restait impassible. Et pourtant le corps de l’apôtre n’était plus qu’une plaie atroce. Ah ! c’est que ce n’était plus un corps qui vivait, c’était une âme !

Un autre sauvage vint lui enfoncer dans le ventre une sorte de trident rougi au feu. Jean de Brébeuf ne broncha pas… seulement, quelques sueurs, oh ! à peine perceptibles, perlèrent pour la première fois à ses tempes. Ses forces diminuaient : mais il avait tellement de volonté sur lui-même, qu’il résistait à la douleur. L’Araignée, ayant aperçu ces sueurs, sourit.

Il fit un geste aux tortionnaires.

Avec un couteau énorme l’un d’eux enleva habilement la peau de la tête à la victime dont la figure demeura placide. Un autre rassembla dans une casserole des braises ardentes et les déposa sur le crâne sanguinolent. Un léger crépitement se fit, puis une mince fumée auréola la tête du patient. Et malgré l’extrême souffrance, Jean de Brébeuf souriait encore.

— Mon fils, dit-il au bourreau, ma tête faisait mal, tu l’as guérie !

Pendant ce temps des cris de douleur, des gémissements, des lamentations, des râlements montaient de toutes parts : c’étaient les autres victimes, les hurons, qui n’avaient pas la force d’endurer de tels supplices.

Vers ces malheureux Jean de Brébeuf tourna la tête et leur cria :

— Mes enfants, élevez vos âmes vers Dieu… lui seul soulage et guérit !

Un des tortionnaires lui enfonça dans la gorge un fer brûlant.

— Parle encore, si tu peux ! dit le monstre.

— Que Dieu ait pitié de toi, pauvre insensé ! dit le missionnaire en élevant ses yeux vers le ciel radieux.

L’Araignée poussa un rugissement de bête aux abois :

— Ah ! chien, si ton Dieu t’empêche de souffrir, il ne peut te sauver de la mort… tiens !

De sa hache il lui fendit la mâchoire.

Sous ce coup terrible Jean de Brébeuf pencha sa tête sur sa poitrine… Il sentit l’agonie venir.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! murmura-t-il, recevez votre serviteur ! Comme il a hâte de vous voir !

On lui coupa le nez, on lui arracha la langue.

Puis, pour la seconde fois, un barbare lui enfonça dans la gorge une barre ar-