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Page:Féron - L'échafaud sanglant, 1929.djvu/22

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L’ÉCHAFAUD SANGLANT

vait, Flandrin se mit à se promener dans la salle.

Un quart d’heure se passa ainsi, puis une clef grinça dans la serrure de la porte de fer. C’était l’assistant geôlier qui venait, apportant un morceau de pain et une cruche d’eau pour le condamné à mort.

— Ah ! ah ! c’est toi, Lemaillou ? dit Flandrin avec un soupir d’allégement. En ce cas, je m’en vais. Tu as donné la ration aux autres prisonniers ?

— Oui, capitaine. Seulement, il paraît qu’il y a un nouveau prisonnier ?…

— C’est vrai. Mais sois tranquille, je vais lui faire son affaire moi-même à celui-là. Je m’en charge.

Et il partit. Il gagna les cuisines et ordonna une ration pour Maître Jean qu’il trouva, dix minutes après, se promenant tranquillement dans sa prison.

En voyant paraître Flandrin, le vieillard sourit et dit :

— Tu avoueras, mon ami, qu’il se passe de curieux incidents dans la vie d’un homme… Me voici prisonnier de Son Excellence Monsieur de Frontenac. Ma foi, je suis content. Ah ! à propos, mon bon Flandrin, tu voudras bien passer par mon logis et dire à Mélie que je suis en voyage pour quelques jours. Inutile de lui dire la vérité, elle s’inquiéterait à en mourir, la pauvre femme !

— Maître Jean, répliqua Flandrin, vous allez dire vous-même à Mélie que vous partez en voyage. Voyez, la porte est libre.

— Hein ! on me libère déjà ?

— C’est moi qui vous donne la liberté.

— Ah ! c’est toi… et à l’insu de Monsieur le Comte ?

— Oui.

— Malheureux, ne sais-tu point ce à quoi tu t’exposes ? Je refuse, Flandrin, cette liberté que tu m’offres à tes risques et périls, oui, je refuse ! Apporte-moi ce plat, car j’ai très faim, attendu que je n’ai pas mangé ce matin.

— Non, Maître Jean. Vous irez manger à votre table, pas ici.

— Mais tu es fou, mon Flandrin !

— Non, Maître Jean. Tenez ! voici des cordes. Vous allez me ligoter, pieds et poings, puis de ce mouchoir vous me bâillonnerez. Cette rapière… voyez ! je la casse et la jette là, comme si vous l’eussiez cassée vous-même. Comprenez-vous ?

Effectivement, Flandrin venait de jeter sur les dalles les deux tronçons de sa rapière.

Maître Jean sourit.

— Ensuite, reprit Flandrin, vous prendrez cette clef, vous sortirez et me cadenasserez.

— Bon, bon, je commence à croire que tu es sérieux.

— Oui, je suis sérieux et je ne cours aucun risque. Voyons ! ne perdez pas de temps ; cinq minutes de retard pourrait nous être fatal.

Flandrin s’allongea sur les dalles, et Maître Jean le ligota, le bâillonna et dit :

— J’irai prévenir ta femme, n’est-ce pas ?

Flandrin ne pouvait parler avec le bâillon. Le vieillard le lui enleva.

— Non ! non ! Maître Jean, inutile d’aller prévenir ma femme. Lorsque la Chouette ne me verra pas venir pour le dîner, elle viendra jusqu’ici pour s’enquérir à mon sujet.

— Bien ! bien ! fit Maître Jean en replaçant le bâillon.

Il s’en alla, cadenassa la porte et, gardant la clef, monta au rez-de-chaussée. Il fut salué cérémonieusement par les huissiers et gardes.

Comme il allait sortir du Château, le chef des huissiers s’approcha et demanda dans un murmure :

— Eh bien ! avez-vous trouvé votre Flandrin, Maître Jean ?

— Oui, mon ami. Je te remercie.

Le vieillard ne perdit pas de temps en politesse, et deux minutes après il marchait à grands pas vers son logis de la rue Saint-Louis.

Flandrin avait deviné juste au sujet de sa femme, et celle-ci s’inquiéta dès qu’une heure eut sonné ; car d’ordinaire Flandrin était ponctuel.

— Je ne serais pas étonnée, se dit la jeune femme, que Flandrin ne soit en train de boire en quelque taverne, à moins qu’il n’ait été retenu par son service.

Louison était venu dîner et avait repris de suite le chemin du collège.

La jeune femme appela une voisine pour veiller sur son petit, mit un châle sur sa tête et gagna la haute-ville. Elle avait eu l’idée d’abord de visiter les auberges et tavernes que fréquentait son mari de temps à autre ; mais après réflexion elle pensa qu’il valait mieux aller prendre des informations au Château.

Là, elle se sentit un peu intriguée en entendant dire et affirmer par les gardes, huissiers et portiers que Flandrin était dans le Château, et probablement à son poste en bas.

— Si vous ne l’avez pas vu sortir, dit la jeune femme, il faut bien croire en effet qu’il est en bas. Dans ce cas, je peux bien aller voir.

Un huissier s’offrit pour aller s’enquérir. Il revint au bout de dix minutes pour rapporter ceci à la jeune femme :

— L’associé du capitaine Flandrin m’a assuré que le capitaine est parti depuis une heure au moins pour aller dîner.

La jeune femme n’en parut pas croire ses oreilles. Mais l’étonnement était bien autre chez les gardes et huissiers. L’un de ces derniers fit remarquer :

— Est-ce que le capitaine serait sorti par une fenêtre ou par l’un des soupiraux des salles basses ?

— S’il est sorti, fit un autre, il a dû user de sorcellerie.

— Moi, je jure, affirma énergiquement un portier qu’il n’est pas passé par cette porte que je n’ai pas quittée depuis une heure.

Portiers, gardes et huissiers jurèrent tous unanimement que le capitaine n’était pas sorti, selon l’habitude, par la grande porte.

À cet instant paraissait le lieutenant des gardes, le sieur Bizard.

— Ah ! ça, monsieur le lieutenant, s’écria la femme de Pinchot, voulez-vous me dire ce qu’on a fait de mon mari ?… il est introuvable !

— Madame, répondit le lieutenant en s’inclinant tout aussi respectueusement que s’il se fût trouvé devant une dame de la noblesse, si