mait sa pipe au coin du feu. Assise près de la table, la jeune fille rapiéçait des vêtements.
L’un des cavaliers dit à son compagnon :
— Faisons vite et sans cérémonies…
Ce dernier, d’un coup de pied, il ouvrit la porte. Les deux hommes bondirent dans la maison et se ruèrent sur Louisette. En un tour de mains la jeune fille fut bâillonnée et emportée. Cela avait duré une minute au plus, et la chose avait été faite presque sans bruit. L’aveugle, surprit, ne pouvant deviner ce qui se passait, avait retiré sa pipe. Maintenant, l’oreille attentive, l’haleine en suspens, il écoutait. Dans la maison un silence très lourd… il n’entendait plus le doux fredonnement de Louisette. Rien ne bougeait… Seuls le tic-tac de la pendule et le cœur inquiet du vieux faisaient dans ce silence lugubre une sorte de bourdonnement sinistre. Puis au dehors, soudain, un galop résonna… ce galop allait diminuant dans le lointain.
Le vieux, alors, frémit de tout son être. Ses traits ridés se crispèrent atrocement sous les coups de l’anxiété et de la douleur. Car, par une sorte de divination miraculeuse, il comprenait que sa petite fille venait d’être la victime d’un rapt audacieux.
Toutefois, comme pour s’assurer qu’il n’était pas l’objet d’un cauchemar, il appela d’une voix tremblante :
— Louisette !
Seul l’écho craintif de sa voix lui répondit.
Il poussa alors un sourd gémissement, se dressa d’un bond, sortit de la maison et s’élança, comme fou, dans la rue, appelant de toute la force de ses poumons :
— Louisette ! Louisette !
Mais Louisette déjà était loin.
Les ravisseurs avaient reçu l’ordre de transporter la jeune fille chez Thomas où Olive s’était rendue. Les heures passèrent, et les cavaliers ne revenaient pas. Olive s’inquiétait. Déjà la nuit était tombée. Elle envoya Thomas aux nouvelle. Et elle continua d’attendre, comme une bête fauve qui cherche une proie introuvable.
Seule, à la lueur tremblotante d’une bougie de suif, Olive arpentait la masure de long en large. Dans la pénombre la lividité de son visage, l’éclat de ses yeux noirs qui s’illuminaient de lueurs fauves, les rugissements étouffés qui sortaient de sa poitrine haletante ; puis le frou-frou sinistre de sa robe, et sa longue mante noire dont les pans battaient comme les ailes de quelque monstrueuse chauve-souris, tout cela donnait à Olive l’aspect d’un spectre affreux.
Tout à coup la jeune fille s’arrêta net et tendit l’oreille. Les échos du soir silencieux lui apportaient un bruit de galopade lointaine. Son sein se souleva avec une sorte d’allégement, et ses traits crispés et durcis se détendirent. Un sourire éclaira un instant sa sombre physionomie.
— Je pense, murmura-t-elle, que ce sont eux !
C’étaient bien nos trois cavaliers, en effet, qui revenaient et qui, quelques minutes plus tard, pénétraient dans la chaumière comme un coup de vent.
À leur apparition cependant Olive poussa un cri :
— La jeune fille ?… interrogea-t-elle dans un souffle d’anxiété haineuse.
Car les cavaliers n’apparaissaient pas avec celle qu’ils avaient ravie.
— Cherchez-la ! répondit avec humeur l’un des trois hommes.
— Que signifie cette plaisanterie ? demanda Olive avec hauteur.
Cela signifie que nous sommes à bout de forces et qu’avant de nous remettre à la recherche de cette fille nous avons besoin de repos, nous et nos bêtes.
— Je ne comprends pas, dit Olive qui commençait à redouter quelque traîtrise de la part de ces hommes.
— Je vais vous expliquer, reprit l’homme. Selon vos instructions nous avons enlevé la jeune fille. La chose fut aisée : elle était seule avec son grand-père, l’aveugle. Je l’avais placée moi-même en travers de ma selle. Pour ne pas traverser le village, où nous aurions pu faire une rencontre dangereuse, nous avons pris à travers champs et bois et gagné une route déserte. Nous allions de toute la vitesse de nos montures. Mais soudain, à l’orée d’une petit bois d’érables surgit un cavalier. Aussi rapide que l’éclair, ce cavalier, ce démon plutôt, bondit sur moi, me renversa, s’empara de la jeune fille et disparut aussitôt dans la brume…
Un cri strident interrompit l’homme…
Ce cri venait d’être poussé par Olive elle-même qui, droite, livide, l’œil en feu, la lèvre écumante, regardait les trois hommes avec une fixité étrange. Puis elle parla avec une sorte de vivacité farouche :
— Un cavalier !… Un démon !… avez-vous dit ? Eh bien ! ce démon, ajouta-t-elle dans un ricanement de fauve, je le connais… je le devine… c’est Jackson !
Sans s’expliquer d’avantage Olive s’enfuit de la chaumière, laissant les trois cavaliers plongés dans le plus profond étonnement.
Sur la route la jeune fille lançait son cheval dans une course folle, échevelée…