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L’ESPION DES HABITS ROUGES

cie en jetant sur Denise un regard brûlant. Les Anglais !… Comprends-tu, Denise Rémillard ? Les soldats du gouvernement !… Les sbires de ceux qui nous ont bafoués, flagellés, mais que nos hommes, à leur tour, vont flageller de la belle façon ! Eh bien ! moi aussi je veux me battre pour mon pays ! Adieu ! Denise Rémillard ! Je ne sais pas si c’est toi qui as appelé ces soldats-là… mais je sais qu’il y a encore du cœur dans la poitrine des filles de la race et qu’en leurs veines coule du vrai sang !…

Elle s’élança dehors en refermant durement la porte sur elle.

Denise, rouge de honte, descendit les dernières marches de l’escalier et s’affaissa, presque inconsciente, sur un siège.

— Vive la Liberté !… rugissaient des voix tonnantes au dehors !


V

APPRÊTS DE BATAILLE


Il était neuf heures et demie.

Une dizaine de Patriotes venant de Saint-Ours avaient signalé la marche des troupes anglaises qui se dirigeaient vers Saint-Charles.

Cette nouvelle n’avait paru causer nulle surprise, nul effroi, on s’y attendait et l’on semblait même content.

— C’est bien, on va les attendre, avaient dit plusieurs voix parmi les villageois et Patriotes, nos fusils sont chargés tout prêts !

Puis, pour donner l’alarme, on s’était mis à crier :

— Les Rouges !… Les Rouges !…

Lorsque les Patriotes de Saint-Ours apportèrent cette nouvelle, une partie de la population était rassemblée devant la maison du docteur Nelson où ce dernier était en train de faire subir à Latour un interrogatoire serré. Et Latour avait finalement confessé, à condition que sa vie serait respectée, que le colonel Gore et le major Crompton étaient partis de Sorel la veille de ce jour pour marcher contre Saint-Charles.

C’est à ce moment précis que s’était élevé ce cri :

— Les Rouges !

Nelson sortit vivement dehors. On le mit au fait des nouvelles apportées par les Patriotes de Saint-Ours.

— Réjouissons-nous, mes amis, cria-t-il, le jour de gloire est arrivé !

Une clameur joyeuse salua ces paroles.

Nelson rentra dans sa maison, donna de brèves instructions à ses lieutenants, et ordonna à deux patriotes de reconduire André Latour à l’auberge de Dame Rémillard et de le garder à vue. Cela fait, il fit seller sa jument baie, sauta dans les étriers et s’élança au galop du côté de Saint-Ours pour avoir des indications précises sur la distance qui séparait encore l’ennemi du village de Saint-Denis et sur l’importance des forces qui s’avançaient. Mais au bout de quelques milles il rebroussa chemin en découvrant sur la route une troupe de cavaliers qui précédait l’infanterie.

Pendant ce temps Latour était conduit à l’auberge où Denise demeurait seule, bouleversée par les dures paroles que lui avait jetées à la figure Félicie, car Dame Rémillard, aux cris d’alarme poussés par les villageois et Patriotes était vivement sortie par la porte de sa cuisine, et, tête nue, en tablier, malgré le froid, courait aux maisons pour obtenir des nouvelles. Et Dame Rémillard se réjouissait aussi de la venue des troupes anglaises, car elle n’aimait pas les ennemis de son pays. Elle allait de porte en porte, disant :

— S’il est vrai que viennent les Anglais, il faut les battre ! Ah ! si j’étais homme ! Si, au moins, mon pauvre défunt vivait… en voilà un qui n’avait pas froid aux yeux et on le verrait déjà en train de bourrer son fusil !

À des Patriotes sans armes qu’elle rencontrait elle disait sur un ton confidentiel et en clignant de l’œil :

— Si vous n’avez pas de fusils, quand le moment sera venu, venez chez moi… j’ai vingt beaux fusils et de la poudre et des balles !

Disons qu’on ne voyait encore d’armes d’aucune sorte aux mains des Canadiens, car les armes étaient cachées, et l’on ne devait les exhiber que sur l’ordre de Nelson.

La population s’était rassemblée par groupes et chacun émettait son idée sur le meilleur moyen à prendre pour arrêter la marche de l’ennemi.

De temps en temps des Patriotes quittaient le village, à cheval ou en cabriolet