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L’ESPION DES HABITS ROUGES

En même temps il lancerait un détachement à l’attaque de la distillerie, en pousserait un troisième vers le centre du village que protégerait sa cavalerie commandée par le capitaine Markman. Mais avant de donner les ordres à cet effet, il voulut essayer encore le canon contre la maison des Saint-Germain.

À vrai dire cette maison n’était plus qu’une ruine, du moins quant à la partie supérieure. Dans les murs inférieurs il y avait déjà plusieurs brèches, et il était à craindre que la maison ne finit par s’écrouler sur la tête de ceux qui l’occupaient. Nelson méditait déjà de l’abandonner. Et ce fut peut-être ce que désirait Gore : sortir les Patriotes de là et les exterminer.

Il fit lancer deux autres boulets contre la maison et dépêcha un détachement pour s’emparer des positions des tireurs canadiens derrière l’étable et la meule de gerbes des Saint-Germain. Le détachement s’engagea à travers champs se tenant autant que possible hors de la portée des fusils des Canadiens apostés à la grange. À le voir aller on pouvait penser que l’intention de l’ennemi était de tourner le village pour prendre position à l’extrémité opposée. En l’occurrence les Canadiens ne savaient trop quoi faire, ils étaient là à la grange en trop petit nombre pour aller barrer la route au détachement ennemi. Lorsque celui-ci fut arrivé à angle droit avec la grange il fit un brusque crochet et fondit contre la grange et la meule de gerbes. Une décharge générale du détachement désempara les tireurs patriotes qui abandonnèrent la position pour chercher refuge vers le centre du village.

Nelson avait été mis au courant de cette manœuvre trop tard. D’ailleurs, son attention avait été retenue par le bataillon que Gore avait en même temps poussé contre la distillerie, puis par un troisième qui, suivi de près par la cavalerie, avait ordre de pénétrer dans l’intérieur du village. Et en même temps aussi le colonel Gore faisait avancer son canon chargé, cette fois, à mitraille et dont la gueule menaçait la maison des Saint-Germain.

C’était une tactique propre à intimider les Patriotes.

Mais Nelson y crut voir une chance de victoire en faisant une vigoureuse sortie. Il avait du reste tout le temps de préparer un plan d’action, car les soldats du gouvernement n’avançaient que lentement et avec la plus grande circonspection faisant de temps en temps de petites décharges de mousqueterie qui ne faisaient autre chose que du bruit.

Pour tenter une sortie avantageuse Nelson jugea prudent de contenir, sinon les déloger, les soldats maîtres de la grange et de la meule de gerbes. Il confia ce soin à Pagé à qui il donna ses dix meilleurs tireurs parmi lesquels se trouvaient Farfouille Lacasse et Landry. Ceux-ci prirent position sur les toits de deux hangars du voisinage, et de là, couchés à plat ventre qu’ils étaient, ils fusillaient presque à bout portant chaque soldat rouge qui osait se mettre à découvert.

— Eh bien ! riait Farfouille, va-t-on leur en mettre un peu du plomb dans la panse ?

— Je crois bien, répondait Landry, ils vont en être si lourds qu’ils ne pourront plus bouger de là !

En effet, il n’était pas possible aux soldats anglais de sortir de là sans s’exposer aux balles meurtrières des Canadiens.

Nelson put donc être tranquille de ce côté, du moins pour le moment. Alors, il dépêcha un messager à Ambroise Coupal de venir prêter main-forte. Mais ce messager était à peine parti que les Canadiens de la distillerie, commandés par le capitaine Blanchard, sortaient brusquement et se jetaient contre le premier détachement lancé par Gore. Blanchard venait de devancer les plans de Nelson, et l’action se trouvait engagée un peu trop tôt. Mais le docteur ne perdit pas de temps, il reconnut de suite qu’il avait là l’avantage de mettre ce détachement ennemi en déroute avant que le troisième bataillon appuyé par la cavalerie de Markman n’arrivât à la rescousse. Il rassembla ses hommes et les jeta comme une bombe dans le flanc du bataillon. Il s’en suivit un corps-à-corps terrible où les Patriotes avaient l’avantage. Nelson surveillait l’ennemi et encourageait ses Canadiens, car l’action devait être aussi rapide que possible afin de pouvoir faire face aux autres forces qui s’avançaient sur le chemin du roi.

Ce fut à ce stage de la bataille que survinrent si à point les Patriotes de Saint-Antoine et de Saint-Ours. Une longue clameur de joie salua la venue de ce renfort si précieux. Le colonel Gore avait vu ces patriotes traverser la rivière et il les avait