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L’ESPION DES HABITS ROUGES

fait canonner et fusiller sans succès. Il voyait donc s’accomplir un événement qu’il avait tant redouté.

Les Patriotes de Saint-Antoine traversèrent le chemin du roi à l’extrémité opposée du village pour venir prendre une position aussi avantageuse que possible. Nelson courut à eux et leur donna l’ordre d’aller déloger le détachement qui occupait la grange des Saint-Germain, puis, cela fait, de prendre la cavalerie de Markman en flanc. Cette manœuvre allait avoir le succès qu’il en espérait. Enfin, pour seconder son action, Nelson vit arriver Coupal et trente de ses patriotes qui, comme trente lions en furie, se dardèrent contre le bataillon qui précédait la cavalerie et ils entrèrent dans la masse ennemie comme un boulet de canon et s’ouvrirent un passage sanglant.

À cette minute précise, les nuages se déchiraient et les rayons obliques d’un soleil éclatant éclairèrent pour un moment cette scène grandiose.

Il y eut là un pêle-mêle indescriptible. Les habits rouges et les capotes grises étaient confondus. On se prenait à bras-le-corps, on s’enlevait, on roulait sur le chemin, car on était trop rapproché le plus souvent pour se servir de ses armes. Les cris, les jurons, les commandements des officiers, les râles des mourants, les gémissements des blessés s’entre-mêlaient et tout cela emplissait l’espace d’un bruit étrange et effrayant.

Les gens de Saint-Antoine, après avoir réussi à chasser de la grange des Saint-Germain le détachement qu’y avait envoyé le colonel Gore, se ruaient contre le flanc de la cavalerie de Markman et la refoulaient sur le chemin du roi.

Cependant, Gore réussissait à lancer par les sentiers de la berge de la rivière un bataillon de réserve qui, à son tour, prenait les Patriotes en flanc. Nelson y courut avec une trentaine de braves. On marchait sur des cadavres et des blessés. Ambroise Coupal dut organiser une dizaine de paysans en ambulanciers pour relever les blessés et les mettre en lieu sûr.

Et le combat se poursuivait avec une furie sans cesse grandissante. Pas de quartier, pas de merci ! Les Patriotes frappaient de leurs haches et de leurs faux, le sang coulait à flots, et, tiède, ce sang réchauffait le sol gelé et il se formait une boue rougeâtre dans laquelle on piétinait, on glissait, on tombait.

Jusque-là on n’aurait pu dire de quel côté penchait la victoire.

Chose certaine, les Anglais lâchaient pied peu à peu, ils reculaient. La cavalerie était en désordre et retraitait. Dans la berge de la rivière Nelson culbutait le dernier bataillon intact de l’ennemi…

Il approchait quatre heures.

Six heures s’étaient presque écoulées depuis qu’on avait échangé les premiers coups de fusils, et des deux côtés l’épuisement des forces physiques se manifestait visiblement.

Ce que voyant, Nelson prit avec lui quelques braves et les conduisit à sa maison où il leur distribua quelques bouteilles de rhum avec l’ordre d’aller stimuler par quelques bonnes lampées leurs camarades. Et ce fut un curieux spectacle de voir des Patriotes abandonner un ennemi, s’accroupir derrière un cadavre, boire un bon coup, puis se ruer à nouveau dans la mêlée.

Enfin, la victoire parut sourire aux Canadiens.

L’ennemi, disloqué, reculait pour de bon.

Le colonel Gore et ses officiers enrageaient. Retirés plus loin sur une élévation de terrain, ils étaient remontés à cheval prêts à prendre la fuite si le sort des armes se tournait contre eux.

Encouragés, retrempés par les signes de victoire prochaine, les Patriotes redoublaient l’offensive…


XI

LA PATRIOTE


Une autre bataille, mais bataille silencieuse et émouvante, se livrait non loin de là : c’était la bataille des femmes canadiennes qui, avec les docteurs Cartier et Kimber, s’occupaient des blessés.

Le magasin des Pagé ressemblait à un véritable hôpital. Les brancardiers ne suffisaient plus à transporter les blessés dont plusieurs, heureusement, n’avaient que des blessures sans gravité. Mais la perte de sang, la faim et la soif avaient tellement affaibli ces blessés qu’ils étaient incapables de retourner au combat après les premiers soins reçus. Parmi les blessés un bon nombre étaient des Anglais pour lesquels les femmes canadiennes avaient autant de soins que pour les Canadiens. À la fin, les