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la belle de carillon

tachou était si irrité qu’il n’avait plus de contrôle sur lui-même. Il souleva le jeune capitaine et marcha vers une grosse pierre près de là comme pour lui fracasser la tête. Isabelle se précipita vers lui.

— Non ! Non ! Bertachou, de grâce ne lui faites aucun mal !

Bertachou s’arrêta.

— Non ?… Vous ne voulez pas ? dit-il. Bien… Voici votre oiselet !

Il déposa d’Altarez, souffla rudement et grogna en s’en allant :

— Demain matin, mademoiselle, vous aurez votre message…

Et très fâché de l’intervention de la jeune fille, Bertachou marchait d’un pas rude en grommelant :

— La Bécasse… elle y tient pour de bon à d’Altarez… Ah ! mon pauvre Capitaine… Eh bien ! c’est tant pis, le mal est fait ! Oh ! c’est pas pour dire ni pour me vanter, mais ce n’est pas moi, qui suis un vieux renard, que la coquine de colombe prendrait dans ses filets !… Ah ! non, sacrediable !…

Peu après et sans cesse ronchonnant il disparaissait.

À ce moment Isabelle remarqua que d’Altarez la considérait d’une étrange façon et avec des yeux si enflammés que la jeune fille se sentit tourmentée de peur instinctive.

— Bertachou ! appela-t-elle pour implorer la protection du lieutenant.

Bertachou était trop loin à présent pour l’entendre.

— Oh ! pour l’amour du Ciel, Isabelle, supplia d’Altarez, cessez d’appeler vos amants quand je suis là !

En même temps il saisit durement les mains de la jeune fille.

Elle voulut se dégager.

— Non ! Non ! gronda d’Altarez entre ses dents. Pas avant que vous ne m’ayez dit la vérité !

Il serra les mains avec autant de force et de rage qu’il avait l’instant d’avant serré la gorge de Bertachou.

Une plainte de souffrance tomba des lèvres d’Isabelle.

D’Altarez ricana avec sauvagerie, et, penchant son visage effrayant vers celui de la jeune fille, il demanda encore en serrant les dents :

— La vérité ! La vérité !… Tu aimes Valmont ? Dis…

Isabelle se cabra. À la fin elle se révoltait contre la conduite de ce détraqué. Que lui devait-elle ? Rien ! Quelle promesse lui avait-elle faite ? Aucune ! Quel pouvoir voulait-il sur elle exercer de force ? De quel droit osait-il la traiter en maître ?

— Laissez-moi, Monsieur, commanda-t-elle, si vous tenez à conserver votre titre de gentilhomme !

— Ah ! mon titre de gentilhomme ! se mit à rire d’Altarez avec un accent de folie. Coquine, ne vois-tu pas que tu fais un coquin de ce gentilhomme ?

Il continuait de coller sa figure affreuse sur le visage horrifiée de la jeune fille qui vainement se débattait.

— Mon Dieu !… Mon Dieu !… gémissait-elle, laissez-moi, Monsieur, allez-vous-en ! Je ne vous aime point ! Et maintenant je sens que je vais vous haïr… Laissez-moi !

— Oh ! me haïr, dis-tu… rugit la voix du jeune homme. Regarde-moi, Isabelle…

Oh ! non, le regarder, elle ne pouvait plus. Elle sentait qu’elle allait perdre connaissance. Elle ferma les yeux…

À l’instant même une sorte de long râlement frappa son ouïe. Elle sentit qu’on libérait ses mains… Et, libérée, elle chancela. Mais elle eut peur de tomber. Fille réagit, se raffermit et rouvrit les yeux… Elle vit d’Altarez se sauver en sanglotant… Oui, le malheureux sanglotait comme un enfant à qui on a refusé une faveur. Pendant près de cinq minutes la jeune fille demeura immobile à la même place, en proie aux plus divers sentiments de pitié, de haine, d’amour… Elle écoutait surtout les sanglots du jeune homme, sanglots qui peu à peu se mouraient dans le lointain, mais à travers lesquels la jeune fille pouvait saisir par bribes ces paroles :

— Oui… demain je me ferai tuer !… Puis le silence glacial de la nuit se fit de toutes parts.

Alors, Isabelle, d’un pas mal assuré se mit à marcher vers la porte du fort. Mais elle ne put faire dix pas… Elle buta et s’écroula sur le sol pour demeurer sans mouvement.

Dix minutes se passèrent. Un homme sortit brusquement d’un bosquet du voisinage et marcha rapidement vers la porte du fort. Mais avant d’y arriver il découvrit tout à coup le corps de la jeune fille.