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la belle de carillon

d’un côté l’écusson de la France, de l’autre une image de la Vierge tenant l’Enfant Jésus dans ses bras. Au bas, sous les pieds de la Vierge on découvrait les armoiries du Marquis de Montcalm. Enfin, aux quatre angles de la bannière avait été brodée une fleur de lis.

Ce drapeau fut béni par l’aumônier, puis hissé au bout d’une longue perche. À sa vue toute l’armée fut prise d’admiration et un formidable « Vive la France » éclata. Ce drapeau, en effet, apparaissait comme un symbole de victoire et il mit dans l’âme de tous les soldats la confiance et la joie la plus grande.

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Valmont n’avait pas assisté aux funérailles de son ami d’Altarez, il s’y était fait représenter par son lieutenant Bertachou. Non que Valmont eût agi par rancune ou ressentiment, mais parce qu’il craignait d’affronter les regards d’Isabelle. Il avait en son cœur cette plaie atroce, toute vive encore, qu’y avaient faite les paroles d’Isabelle le soir précédent :

— Laissez-moi, je ne vous aime point ! Vous êtes un coquin ! Allez-vous-en !… avaient murmuré les lèvres de la jeune fille, alors que Valmont avait soulevé dans ses bras le corps inanimé de la pauvre enfant.

Ces terribles paroles avaient presque tué le capitaine. Il avait aimé Isabelle en secret, secret que, par amitié pour d’Altarez, il n’eût voulu divulguer pour rien au monde. Puis, lorsque la jeune fille lui avait déclaré qu’elle n’aimait pas d’Altarez, lui, Valmont, avait eu un instant le fol espoir d’être l’élu. Oh ! oui, fol espoir… et si Valmont n’eût été doué d’une force de caractère qui le préservait des sombres découragements, qui l’empêchait de rouler dans les profonds abîmes du désespoir, il se serait donné la mort aux pieds de la jeune fille, de celle qu’il sentait aimer de toute l’ardeur de son jeune sang. Oh ! les affreuses paroles… comme elles avaient résonné lugubrement toute cette nuit qui avait suivi, et comme encore ce jour-là son esprit en était tout bouleversé !

Aussi, grande fut sa surprise, lorsque, un peu après le coucher du soleil, un soldat du fort lui apporta un billet. L’écriture de la souscription sur l’enveloppe le fit trembler d’espoir et de joie :

Pour le Capitaine Valmont.

C’était bien l’écriture d’Isabelle. Mais était-ce un message de bonheur ou de malheur ? Ce fut d’une main fébrile et fort maladroite qu’il ouvrit cette enveloppe de laquelle il tira un petit papier délicatement parfumé. Oui, il reconnaissait encore les parfums d’Isabelle… Il lut :

« Monsieur le Capitaine, j’avais espéré de vous voir à la triste cérémonie de ce jour pour vous offrir mes sympathies, puisque je comprends que vous subissez la perte d’un ami cher. Je viens donc, un peu audacieusement peut-être, vous apporter mes pauvres consolations dans votre chagrin. Je viens en même temps, attendu qu’il semble qu’on se battra demain, vous porter des souhaits de victoire. Oh ! oui, que vous reveniez vainqueur des Anglais, Capitaine ! Pour notre armée et pour vous j’implore la Vierge qui sourit aux armes de France et du Canada. Je suis certaine que cette bonne Vierge vous protégera. Implorez-la aussi ! Confiez-lui votre vie et votre bonheur futur, de même que j’ai mis entre ses mains puissantes ma vie et mon bonheur. Au revoir, Capitaine, et à la Victoire de nos armes ! »

Aux derniers mots de cette lettre Valmont frissonnait d’amour et de bonheur. Il fut sur le point de pleurer tant l’émotion saisissait son cœur. L’image et le nom d’Isabelle emplissaient son esprit d’étincellements et d’ivresse. Il sentait que peu à peu la folie dont lui avait parlé d’Altarez l’étreignait à son tour. Oh ! être aimé, se savoir aimé, se sentir aimé… quelle exquise jouissance ! Il savourait en lui-même cette griserie sublime de l’amour ! Il bénissait cette folie que d’Altarez lui avait dépeinte en quelques mots, il la trouvait si bonne, elle lui faisait un si grand bien. Son cœur, l’instant d’avant si lourd qu’il eût volontiers jeté au fond d’un lac, était à présent si léger qu’il semblait vouloir s’envoler vers Isabelle. Pauvre Valmont ! son ravissement fut de courte durée. Un impitoyable souvenir vint jeter son manteau noir sur les clartés célestes de l’amour : Valmont, tout à coup, crut entendre, chuchotées à son oreille, les cinglantes paroles d’Isabelle :

— Je ne vous aime point !…