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la belle de carillon

saules qui garnissaient la pente du ravin à environ cinquante verges de nos personnages, et d’Altarez tombait criblé de balles à la place même que Valmont occupait trois secondes avant. Et lui, Valmont, n’était qu’à deux pas de l’ami qui venait de s’affaisser sous les balles. Et alors il se retourna du côté d’où était venue la voix, et aperçut, pâle et tremblant, Bertachou.

Lui et Valmont, pétrifiés, se regardaient incapables d’échanger une parole. Un peu plus loin, un nuage de fumée montait au-dessus des saules et l’on pouvait percevoir la course de plusieurs hommes prenant la fuite.

— Ah ! les assassins se sauvent… balbutia Bertachou.

— Les assassins… murmura Valmont sans comprendre.

— Oui, Capitaine… ceux qui allaient tirer sur vous…

— Sur moi…

Et Valmont, plus étonné, se retourna vers d’Altarez. Le jeune capitaine gisait inanimé dans une mare de sang qui fumait sous les rayons de soleil. Il courut à lui. D’Altarez était mort… mort criblé de balles, car le sang s’échappait de toutes parts : de son visage, de son cou, de sa poitrine…

— Sacrediable ! fit Bertachou, il faut bien reconnaître, Capitaine, que vous avez été protégé par le bon Dieu : ces balles étaient pour vous, et c’est lui qui les a reçues !

— Allons ! s’écria Valmont en se levant, livide, il y a là un mystère qu’il faudra éclaircir plus tard ; pour le moment, il faut courir au camp de Monsieur de la Bourlamaque chercher des hommes pour transporter ce pauvre d’Altarez au fort.

— Venez, dit Bertachou, je vais toujours le transporter jusqu’aux retranchements de Monsieur de la Bourlamaque, là-haut.

Et se chargeant du cadavre, Bertachou, suivi par son capitaine, grimpa le ravin et gagna les retranchements de l’aile gauche de l’armée.

XI

LA VOIX DU CANON


Informé du guet-apens, Montcalm promit de faire une enquête après la bataille dont on attendait le prélude d’un moment à l’autre.

Dans l’après-midi le capitaine d’Altarez reçut des funérailles dignes du rang qu’il occupait dans l’armée, puis cette affaire fut momentanément oubliée pour la bonne raison que tous les esprits se préoccupaient des événements prochains.

Vers les six heures du soir l’armée de la Nouvelle-France vit tout à coup le pavillon anglais flotter à la cime d’un pin gigantesque. En même temps un coup de canon, tiré d’une batterie ennemie dissimulée sur une éminence près du Lac Saint-Sacrement, éclatait et faisait trembler l’espace, puis le premier projectile anglais venait s’abattre dans les abatis à quelques toises des ouvrages que défendaient les Canadiens du capitaine Valmont. Aussitôt après ce coup de canon, une musique militaire vive et joyeuse vibra dans la sérénité de l’atmosphère. Un moment, on pensa que les Anglais allaient tenter la première attaque ; il n’en fut rien. La musique se tut, et le plus grand silence se fit du côté du Lac.

Croyant que le drapeau anglais avait été hissé comme un défi à l’armée française, Montcalm ordonna qu’on élevât le drapeau de la France au sommet de la tour du fort. Il fit tirer trois coups de canon et commanda aux musiciens du Royal-Roussillon de jouer de leurs fifres. La musique française retentit dans l’espace non moins vive et joyeuse que celle des Anglais. Puis, après les fifres, ce fut le tour des tambours du Languedoc qui battirent une charge endiablée. Aux Anglais Montcalm rendait défi pour défi.

Lorsque le silence se fut rétabli de toutes parts et au moment où le soleil allait s’éclipser derrière les montagnes bleues qui barraient l’horizon, Isabelle se présenta aux quartiers du général.

— Monsieur le Marquis, dit-elle en déployant un magnifique drapeau, voici l’oriflamme de la victoire. Que cette bannière flotte au-dessus de vos lignes de même que flotte sur le fort le drapeau de la France !

— Certainement, Mademoiselle, répondit Montcalm, je ferai déployer ce drapeau au-dessus de nos lignes.

Le général et ses officiers admirèrent le nouveau drapeau et félicitèrent chaudement la jeune fille pour son admirable travail.

La broderie du drapeau représentait